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vigueur de sa main, la hardiesse de ses visées. Ses sculptures pour Montpellier le classent au meilleur rang parmi les artistes capables de concevoir grandement une décoration architecturale et de l’exécuter librement.

On a remarqué aussi un sentiment très prononcé de la dignité indispensable à la sculpture monumentale, en même temps qu’une recherche heureuse d’une expression précise et locale, dans la grande figure en bronze d’un débutant, M. Sicard, la Touraine couronnant ses enfans. Cette Touraine, d’un âge mûr et d’une physionomie pensive, comme une noble châtelaine qui a vu, dans ses jardins en fleurs, vivre et mourir tant de grandeurs et de grâces oubliées, rappelle à la fois les joies de la renaissance, par la richesse libre de son ajustement, et, par la simplicité négligée de sa chevelure en longs bandeaux, les mélancolies nobles du romantisme. C’est à la fois la Touraine de Charles VIII et de Balzac. Dans son visage rêveur et fatigué, on pourrait surprendre des traits qui conviennent à Anne de Bretagne et à Mme de Mortsauf. Il y a là une distinction de sentiment qui contraste heureusement avec la banalité ordinaire de ces figures allégoriques de villas et de provinces, dans lesquelles on retrouve presque toujours de vieilles déesses, à peine déguisées, depuis longtemps démodées même dans les ateliers de l’École. La Touraine de M. Sicard est, au contraire, une figure bien française ; l’intelligence de sa physionomie est encore accentuée par l’aisance affable de son attitude, et, lorsqu’elle élève là couronne de chêne au-dessus des fronts des trois illustres savans, ses fils, Bretonneau, Velpeau, Trousseau, c’est bien leur mère tourangelle qui les remercie et non pas une matrone quelconque, désignée par un jury parisien à la suite d’un concours. M. Injalbert est de l’Hérault, M. Sicard est de Tours ; c’est sans doute à leur amour du sol natal que nous devons cet accent particulier, cette saveur de terroir qui donnent plus de prix à leurs travaux pour Montpellier et pour Tours. Il y a là un exemple que nos villes de province et nos artistes de province feraient bien de méditer également : les unes, pour utiliser plus ardemment à leur profit le talent de leurs enfans ; les autres, pour développer plus hardiment les principes d’originalité que leur éducation première, dans un milieu moins banal, a naguère déposés en eux. La centralisation, dans les arts comme dans les lettres, nous appauvrit, nous épuise, nous exténue ; tout effort qui tend à réveiller chez les artistes provinciaux, élevés ou non à Paris, le sentiment d’une vie propre, mérite d’être encouragé comme un élément de rénovation et comme une espérance de salut.

Depuis quelques années, à cet égard, les idées d’ailleurs se sont