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de l’Océan, à plus de cent lieues de distance, la poussière impalpable des déserts africains.

Aux bises froides et rudes du nord succèdent alors une brise légère et constante, une température idéale. La nuit, le ciel étincelle d’innombrables étoiles ; tantôt elles scintillent avec éclat dans un azur sombre et profond, tantôt elles répandent une lumière blanche et diffuse dans un firmament d’un bleu pâle. Au souffle de l’alizé, le navire, incliné, toutes voiles dehors, fend silencieusement de son taille-mer les vagues phosphorescentes ; il semble glisser sans efforts sur un fit de pierreries que sa proue fait ruisseler devant lui, laiteuses comme des perles, brillantes comme des diamans.

Le tropique du Capricorne franchi, adieu aux jours embrasés, à la brise régulière, aux constellations de l’hémisphère boréal ! Vénus disparaît de l’horizon, la Grande-Ourse fuit, la Voie lactée s’évanouit. La Croix du sud se lève au loin. Les vents redeviennent variables ; plus on avance, plus ils fraîchissent ; de brusques rafales enflent les voiles, faisant plier les hautes mâtures sous l’effort de la bise qui les gonfle à les crever, puis les laisse retomber flasques et molles au long des mâts, qu’elles battent paresseusement ; des orages subits, le grondement du tonnerre, le crépitement de la pluie, secouée par une bourrasque folle qui fouette les vagues et chasse le navire éperdu.

Au large du Rio de la Plata, les redoutables pamperos annoncent le voisinage du cap Horn, distant de quatre cents lieues. Ils descendent, rapides et furieux, du versant oriental des Andes, dévastant sur leur passage les pampas dénudées qui s’étendent de la Cordillère à l’Océan, refoulant devant eux de grands nuages gris déchiquetés qui s’entre-choquent dans la tourmente, s’illuminant d’éclairs livides ; ils rasent la surface de la mer, balayant l’embrun des vagues, sifflant avec un bruit strident dans les vergues qui craquent, les cordages qui vibrent et les haubans raidis. Dans l’ouragan déchaîné, le vent saute du nord au sud, de l’est à l’ouest, comme affolé, se débattant, dans une lutte suprême, avec un en nemi invisible, retombant tout à coup, vaincu, avec un hurlement de fureur. Interminablement s’allongent les côtes de la Patagonie, terre rude et froide, voilée de bancs de nuages aux formes bizarres et fantastiques, colorés de toutes les teintes du prisme, offrant à l’œil un tableau mouvant et changeant, d’indescriptibles effets de mirage.

A l’est, les îles Malouines dessinent leurs flancs abrupts, leurs blanches parois de rocs durs et lisses. A l’ouest, on commence à discerner l’entassement monstrueux de la Terre de Feu, les puissantes assises du cap Horn amoncelant à cette pointe extrême du Nouveau-Monde ses masses granitiques. Ici vient mourir, dans