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Depuis deux ans déjà, cette région des Balkans, qu’on croyait avoir organisée par le traité de Berlin, est livrée à la force et a passé par toute sorte de péripéties. Elle a eu la révolution, qui a fait l’union de la Roumélie et de la Bulgarie sous un prince favorisé et popularisé par la victoire dans la guerre avec la Serbie; elle a eu aussi, un an après, la révolution qui a chassé l’heureux vainqueur des Serbes. Aujourd’hui, les Bulgares, plus ou moins gouvernés par une régence incohérente, plus ou moins représentés par une assemblée aux pouvoirs contestés, sont à la recherche d’un nouveau prince. Ils ont fini par le trouver, ils croient l’avoir trouvé. la régence, à bout de moyens, a réuni encore une fois son assemblée, la Sobranié, qui a élu un jeune homme de vingt-trois ans, le prince Ferdinand de Cobourg. Malheureusement, l’élection ne décide rien, et le prince qui vient d’être élu se gardera bien d’aller à Sofia prendre possession de sa couronne tant qu’il n’aura pas l’assentiment de toutes les puissances. Or c’est là précisément la difficulté aujourd’hui comme hier. Tout dépend de la volonté de la Russie, qui reste une spectatrice sévère et silencieuse, qui ne reconnaît jusqu’ici ni régence, ni Sobranié, ni rien de ce qui s’est fait en Bulgarie depuis deux ans. La Russie, dans un intérêt de paix européenne, pour ne pas entrer en conflit avec l’Autriche, pour garder la liberté de sa politique, se défend de toute intervention directe dans les Balkans ; elle paraît d’un autre côté froidement résolue à n’accepter aucun des événemens, aucun des actes accomplis dans la principauté dont elle se considère comme la protectrice traditionnelle. La question est de trouver une combinaison qui puisse tout concilier, qui, en apaisant la Russie, en palliant tout ce qui a pu la blesser ou l’irriter dans les dernières révolutions bulgares, suffise à remettre un peu d’ordre dans un pays envahi par l’anarchie. Ce ne sera point assurément facile. La diplomatie a devant elle une œuvre étrangement compliquée, et cependant, tant qu’on n’aura point résolu ce problème, tant qu’on n’aura pas créé en Bulgarie un ordre de gouvernement et d’institutions que la Russie soit disposée à accepter, le danger subsistera dans les Balkans; il y aura toujours un point noir, une menace pour la paix européenne. Tout restera livré au hasard d’un redoutable imprévu qui peut à chaque instant remettre aux prises les grandes influences du continent, raviver les antagonismes de toutes les politiques. En un mot, la question d’Orient sera toujours ouverte avec ses perspectives inquiétantes. C’est là justement l’importance de ces affaires des Balkans, qui intéressent moins la Porte elle-même que les puissances sans cesse occupées à se surveiller, à se neutraliser, à se combattre dans ces régions, à Sofia comme à Belgrade, où tout est peut-être aujourd’hui aussi obscur qu’en Bulgarie.

Le fait est que, dès qu’on touche à ce problème oriental, tout devient