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grand prince, si modeste et si sage, et puis le lendemain ce n’étaient que mauvais discours et fanfaronnades. » — Il espérait pourtant être venu à bout de tempérer la mauvaise impression faite sur l’esprit du roi. — « Le roi en est revenu, disait-il à Chambrier ; il ne tiendra qu’au roi de Prusse d’avoir toujours son amitié. » — Mais la mauvaise humeur royale ne s’en retrouva pas moins tout entière quand on vint au chapitre très délicat des subsides que le roi de Prusse réclamait. Ce fut une opposition générale dans le conseil. Le contrôleur Orry, surtout, qui connaissait l’état épuisé du trésor de France, et entendait chaque jour le gémissement des populations surchargées d’impôts, — mais qui ne se refusait jamais à une dépense quand il s’agissait déplaire au maître, — sûr cette fois d’être appuyé dans sa résistance, se montra d’une économie intraitable. Il se refusait absolument à croire que le roi de Prusse eût réellement besoin de secours, et rappelant qu’il s’était vanté souvent au début de la guerre, de la bourse si bien garnie que lui avait laissée le vieux roi son père : — « Quand on avait fait un tel héritage, disait-il, devait-on demander la charité ? »

Rien n’était plus vrai cependant : le fonds paternel était mangé, et le sol ingrat, les populations très peu riches du Brandebourg ne fournissaient pas de quoi le remplacer. L’aveu qu’il fallait faire de cette indigence n’était pas ce qui coûtait le moins au conquérant de la Silésie et ce qui devait lui rendre le refus moins sensible. Quand le ministre de France dut lui transmettre les réponses maussades et les fins de non-recevoir négatives de son gouvernement : — « Mon cher Valori, lui dit-il, vous savez quels sont mes principes sur l’article des subsides. Vous devez conclure que mon besoin est extrême, puisque je me suis résolu à en demander. Je ne vous cacherai point que, malgré ma victoire, ce secours ne m’est point devenu moins nécessaire. Vous voyez dans quel état est ma cavalerie ; .. je n’ai pas un écu pour la remonter… Je n’ai pas de ressources à espérer de mes peuples. Croyez que c’est à contrecœur et avec bien de la peine que j’expose mon indigence, après avoir voulu toujours passer pour au-dessus de mes affaires. Mais il faut avouer qu’il n’y a que la France, l’Espagne et la Hollande qui soient en état de soutenir une guerre qui se prolonge. Pour nous, cela est au-dessus nos forces. Cette dernière campagne m’a coûté d’extraordinaire, je vous le jure sur l’honneur, sept millions d’écus ; c’est à peu près le fond du sac. » — « Je lui ai trouvé, remarqua Valori, un air humilié qui m’a fait comprendre qu’effectivement ses besoins étaient tels qu’il me les avait dépeints[1]. »

  1. Chambrier à Frédéric, 4-6 juin 1745. — D’Argenson à Vauréal, ambassadeur en Espagne. — Valori à d’Argenson, 6 juillet 1745 ; (Correspondances de Prusse et d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)