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qu’il imagina : il ordonna que toutes les troupes se réuniraient le dimanche. — C’était le jour du soleil, et un païen pouvait le sanctifier sans scrupule. — On se rassemblait, non pas dans un temple ou dans une église, mais en plein air. Là, à un signal donné, tous les soldats, les mains levées au ciel, devaient répéter une prière qu’ils savaient par cœur. C’était l’empereur lui-même qui avait pris la peine de la composer. La voici : « Nous te reconnaissons seul comme notre Dieu, nous t’honorons comme notre roi, nous t’invoquons comme notre appui. C’est à toi que nous devons d’avoir remporté des victoires et vaincu les ennemis. Nous te remercions des succès que tu nous as donnés, et nous espérons que tu nous en accorderas d’autres. Nous te supplions pour notre empereur Constantin et ses très pieux enfans, et nous le demandons de nous le conserver sain et victorieux le plus longtemps possible. « Il n’y a pas un mot, dans cette prière, qui blesse aucune croyance ; et quand les soldats la répétaient en chœur, le dimanche, avec un accent de parfaite sincérité, on pouvait croire qu’ils appartenaient tous à la même religion[1].

C’était donc une apparence, un semblant d’unité, dont on pouvait se contenter avec eus provisoirement et en attendant mieux ; pour les autres, Constantin exigea davantage : il voulut obtenir une union plus complète, plus réelle. Mais comment y arriver ? Il avait, par l’édit de Milan, renoncé d’avance à la contrainte et répudié la persécution ; il ne lui restait d’autre moyen que de convaincre. Dès lors, nous le voyons se transformer en un théologien qui s’adresse à ses sujets et leur fait de longs sermons pour les amener à sa foi. Aurélius Victor nous dit qu’il était fort instruit. Fils d’un empereur, destiné à l’empire par sa naissance, il avait reçu une meilleure éducation que Dioclétien et ses collègues, soldats de fortune, princes de hasard, dont la jeunesse s’était passée dans les camps. Son père qui protégea toujours les écoles, lui avait donné sans doute pour professeur quelque rhéteur de Trêves ou d’Autun, et il lui était resté de ces premières leçons un fonds, de pédanterie dont l’exercice de l’autorité souveraine ne le guérit pas tout à fait. Eusèbe le représente passant ses nuits à préparer ses harangues

  1. La prière de Constantin ressemble beaucoup à celle que Licinius fit répandre parmi ses troupes, la veille du jour où il allait combattre Maximin, et qui, si l’on en croit Lactance, lui fut dictée par Dieu lui-même, pendant son sommeil. La voici : « Grand Dieu, nous t’invoquons. Nous te recommandons la justice de notre cause ; nous te recommandons notre salut ; nous te recommandons notre empire. Par toi nous vivons ; par toi nous sommes heureux, et victorieux. Dieu grand et saint, écoute nos prières. Nous tendons nos mains vers toi. Dieu grand et saint, exauce-nous. » Licinius était resté païen, mais il avait beaucoup de chrétiens dans son armée. Peut-être voulait-il trouver une formule de prière assez vague pour que chaque soldat put la répéter, quelle que fut sa religion. Constantin imita son procédé.