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tout le monde : les persécutés en souffrent d’abord, mais les persécuteurs n’ont pas toujours à s’en louer. Il arrive souvent que les tempêtes qu’ils soulèvent vont beaucoup plus loin qu’ils ne voudraient. Quand on a mis en mouvement le pouvoir temporel, il n’est pas aisé de le retenir ; saint Augustin en lu l’épreuve. Il avait consenti qu’on appliquât certaines peines aux hérétiques, l’amende, la confiscation, l’exil même dans quelques cas, mais il souhaitait qu’on s’en tint là. Quand il fut question de les punir de mort, il protesta avec une indignation généreuse. L’idée qu’on pourrait verser le sang d’un chrétien au nom de l’église lui faisait horreur. Aussi, dès qu’il sait que l’un d’eux est en danger, il s’adresse à tout le monde pour le sauver. Il écrit aux magistrats, au proconsul, les lettres les plus pressantes : « On lira, leur dit-il, dans les assemblées des fidèles, le récit de la punition des coupables ; s’il se termine par leur mort, qui osera le lire jusqu’au bout ? » Ces scrupules d’humanité ne touchaient guère l’autorité civile. Dans sa froide logique, elle trouvait que, du moment qu’on met les erreurs de doctrine sur la même ligne que les crimes, il faut les punir des mêmes peines. On avait déjà vu, quelques années auparavant, à la cour de l’empereur Maxime, Priscillien et plusieurs de ses partisans mis à mort, malgré les supplications de saint Martin. Cet exemple allait devenir l’usage commun, au grand détriment de l’église, qui a porté la peine de ces cruautés dont elle n’est pas toujours responsable.

Un autre danger que courent sans le savoir ceux qui se servent de ces lois de violence, c’est qu’elles peuvent retomber sur eux et qu’ils finissent souvent par en être victimes. Saint Augustin fait remarquer que les donatistes furent les premiers à s’adresser à l’empereur et à lui demander d’intervenir dans les querelles religieuses ; a mais, ajoute-t-il, il leur arriva comme aux accusateurs de Daniel : les lions se retournèrent contre eux. » L’empereur, qu’ils avaient imploré, ne leur fut point favorable, et nous avons vu comment Honorius fit peser sur eux les rigueurs qu’ils voulaient attirer sur les autres. Un demi-siècle plus tard, tout était changé. L’Afrique appartenait aux Vandales ; leur roi Huneric, qui était un Arien zélé, voulut faire triompher l’arianisme et détruire les églises rivales. Pour y réussir, il n’eut pas grands frais d’imagination à faire, et suivit simplement l’exemple qu’on lui avait donné : il lui suffit de copier la loi d’Honorius, en changeant les noms, et d’infliger aux catholiques les peines dont ils avaient frappé les donatistes. — Cette fois encore, les lions se retournèrent contre ceux qui les avaient déchaînés.


GASTON BOISSIER.