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On trouve aussi chez lui les idées les plus disparates et les plus contradictoires, comme le fait remarquer Littré. C’est, par exemple, après ce qui vient d’être dit sur la philosophie positive et la nécessité de l’expérience, cette pensée que « la méthode a priori doit se substituer à la méthode a posteriori. » C’est encore la prétention de tout expliquer par la gravitation ; c’est enfin un ton ridiculement insolent à l’égard des plus grands chimistes. Néanmoins, malgré tous ces défauts, il reste que quelques-unes des idées les plus importantes du positivisme avaient été entrevues par Saint-Simon.

Ce qui est d’ailleurs plus important que ces rencontres plus ou moins fortuites de quelques passages épars, c’est une doctrine qui n’appartient pas à Saint-Simon lui-même, mais qui nous est communiquée par lui, et rapportée par lui aussi à un personnage ignoré, que du moins nous ne connaissons pas autrement, et que l’on appelle le docteur Burdin. Saint-Simon nous reproduit les idées et les discours de ce médecin, peut-être même un texte de lui, dans son Mémoire sur l’homme. Voici les principales idées de ce travail ; on y reconnaîtra la plupart des idées d’Auguste Comte : « 1° toutes les sciences ont commencé par être conjecturales avant de devenir positives ; 2° les sciences sont devenues positives selon leur ordre de complication ; 3° les sciences sont entrées dans l’enseignement public à mesure qu’elles sont devenues positives ; 4° la physiologie, par suite des travaux de Vicq-d’Azir, de Cabanis, de Bichat et de Condorcet, est sur le point de devenir une science positive, et alors elle entrera dans l’enseignement public ; 5° la morale deviendra une science positive quand elle sera fondée sur la physiologie ; 6° la philosophie deviendra une science positive quand elle prendra pour base les faits généraux des sciences particulières. » Nous avons ici la philosophie positive dans son germe, dans ses principes fondamentaux. On peut se demander, à la vérité, si Auguste Comte a eu communication de ce travail philosophique, car il se trouve dans le Mémoire sur l’homme, qui n’a été publié qu’en 1859 ; mais il est bien probable que Saint-Simon a dû faire prendre connaissance de ses écrits manuscrits à son jeune disciple ; et, comme le dit Littré, celui-ci en a reçu l’équivalent par la conversation.

Tels sont les anneaux qui, suivant Littré, rattachent la doctrine de Comte à celle de Saint-Simon. On peut encore en signaler d’autres. Tout le monde sait qu’avant la théorie de la constitution et de la hiérarchie des sciences, il y en a une autre dans le positivisme, qui est la base même du système. C’est la théorie des trois états, à savoir : l’état théologique, l’état métaphysique, l’état positif ou scientifique. Nous avons à nous demander jusqu’à quel point