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le 22e degré de latitude sud, la Nouvelle-Calédonie, l’une des îles les plus importantes de la Mélanésie. Sept cent milles seulement la séparent de l’Australie. Terre élevée, sol tourmenté, se hérissant de hautes montagnes, ramifications de la chaîne centrale qui forme son arête principale, la Nouvelle-Calédonie fut découverte en 1774 par le capitaine Cook. Visitée successivement par La Pérouse, qui périt à Vanikora, puis par d’Entrecasteaux, évitée pendant quarante ans par les navigateurs qu’effrayaient les dispositions belliqueuses des habitans et leur réputation de cannibalisme, cette île devint possession française en 1853. En 1870, on y déporta les condamnés de la commune.

L’Angleterre ne vit pas sans dépit la France s’établir aussi près du continent australien. Ce voisinage l’inquiétait. L’Angleterre est ombrageuse et méfiante ; ce qu’elle avait fait de l’Australie, elle n’entendait pas que la France le fît de la Nouvelle-Calédonie et créât dans l’Océanie du sud un établissement pénal. Certes, ni les temps ni les procédés n’étaient les mêmes, mais un établissement pénal comporte un établissement militaire, une garnison, des troupes, un port de ravitaillement, et elle affectait d’y voir une menace pour le présent, un danger pour l’avenir. Cet afflux soudain de population augmentait l’importance de Nouméa, assurait la soumission des indigènes, contrariait la propagande politique et religieuse des missions anglicanes. Puis les mesures de colonisation adoptées par la France vis-à-vis des Canaques, aussi bien à Tahiti, aux Marquises, qu’en Calédonie, contrastaient étrangement avec celles au moyen desquelles l’Angleterre avait assuré sa domination sur l’Australie, où l’indigène, constamment refoulé par l’immigration, dépossédé du sol qui lui appartenait, décimé par l’eau-de-vie et les balles anglaises, traînait dans les solitudes inexplorées de l’intérieur une existence misérable et précaire.

L’extension, par la France, à ses possessions océaniennes, de la méthode de colonisation déjà appliquée à l’Algérie, démentait l’assertion qu’en respectant la nationalité et les coutumes des peuples protégés ou conquis, la France obéissait moins à des sentimens d’humanité qu’à des considérations politiques et à la crainte de provoquer des insurrections redoutables. On la voyait à Tahiti, comme à la Nouvelle-Calédonie, soucieuse du bien-être de ses nouveaux sujets, de leurs droits et de leurs traditions politiques, et, loin de demander à la suppression de la race autochtone la paix et raffermissement de sa conquête, admettre cette même race à l’égalité des droits civils et adopter les mesures propres à combattre une dépopulation rapide. Un pareil contraste était une perpétuelle critique. L’Angleterre s’en irritait d’autant plus qu’elle y voyait