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les vêtemens, tout leur extérieur, en un mot, dénote bien moins la misère que l’oubli de soi-même. L’enfant participe à cette saleté, comme il participe à la vie de famille, sans que ni l’un ni l’autre en aient conscience. Une femme disait : « Il dit ça, le médecin, il est obligé de le dire ; mais qu’est-ce qu’on peut me reprocher, je soigne le petit comme moi-même. » Précisément, ma bonne, c’est ce que l’on vous reproche. Je crois que le seul moyen de sauver les enfans, d’écarter d’eux les maladies provenant d’une hygiène déplorable et de les mettre en santé active, serait de faire l’éducation des mères. Je conviens que ce serait difficile.

Les médicamens sont donnés gratuitement, soit au dispensaire même, soit chez un pharmacien attitré dont les notes sont soldées à vue. La distribution des médicamens prend une singulière extension dans cette maison bienfaisante ; les mouchoirs, nous venons de le dire, sont considérés comme médicamens, ainsi que les brosses à dents qui sont remises à chacun des enfans que soigne le dentiste, ainsi que les appareils orthopédiques dont le chirurgien prescrit l’usage aux petits malades, et qui, pour l’année 1886, ont formé un total de 165 ; médicamens aussi : 22,409 bains sulfureux, bains salés et douches ; médicamens encore : 30,324 repas composés de soupe, de viande, de riz et de vin. Pour ces êtres débiles, aux membres grêles, au ventre ballonné par la mauvaise nourriture, l’alimentation est le plus précieux des remèdes ; on ne la leur ménage pas, et je crois que les chiffres que je viens d’indiquer sont dépassés aujourd’hui, car la moyenne des enfans qui s’assoient dans le réfectoire est actuellement de 150 par jour. Ce n’est pas tout : on ne veille pas seulement sur la santé de ce peuple enfantin qui peut-être devra plus tard sa résistance et sa solidité aux soins que la bonté d’une femme lui aura fait prodiguer ; on cherche à l’amuser, et deux fois par an, à son profit, le dispensaire est en fête. A Noël, — ceci est très remarquable, — et à Pâques, Guignol est en permanence dans la grande salle, et devant les enfans émerveillés, il représente les aventures de polichinelle, du diable et de monsieur le commissaire ; d’heure en heure le public se renouvelle, toujours attentif, toujours charmé, applaudissant et se pâmant d’aise aux facéties des fantoches. Les mères sont de la partie et se gardent d’y manquer, car on donne à chacune d’elles 2 francs et un kilogramme de viande. Les enfans reçoivent leurs cadeaux ; et ce jour de Noël, par la main d’une israélite, le petit Jésus leur envoie des jouets et parfois des livrets de caisse d’épargne. A-t-on jamais fait mieux quelque part ? Aussi on ne peut qu’applaudir l’Académie de médecine qui a accordé le prix de l’hygiène de l’enfance à Mme Heine-Furtado, et l’Académie des sciences qui, dans sa séance solennelle du 17 décembre 1886, lui a décerné « une mention