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abandonner les Catalans qui s’étaient compromis pour lui ; il voulait encore tenter le sort des armes. Eugène était retranché à Ettlingen avec toute son armée : Vaubonne gardait, derrière de solides retranchemens, les défilés de la Forêt-Noire ; Fribourg avait une grosse garnison commandée par un homme de cœur : qu’avait-il à craindre ? Force fut donc pour Villars, bon gré mal gré, de laisser la plume et de reprendre l’épée. Les derniers coups qu’il porta semblent se ressentir de son impatience et de son dépit ; ils furent assénés avec une rare vigueur et une science consommée de la guerre. Reprenant sa manœuvre favorite, il avait fait mine d’attaquer Eugène dans ses lignes ; mais pendant que le maréchal de Bezons le menaçait sur la rive gauche du Rhin, que le général d’Alègre, passant le fleuve au Fort-Louis, semblait devoir l’aborder par la rive droite, il avait lui-même traversé le Rhin à Kehl et s’était rapidement porté sur Fribourg, investissant la ville par le nord, pendant qu’Asfeldt, sorti de Brisach, l’investissait par le sud. Le jour même où les deux corps se rejoignaient sous la place, il les jetait sur les lignes de Vaubonne et les emportait d’assaut, gravissant lui-même à pied, malgré sa blessure, les pentes escarpées du Rosskopf, comme avait fait Condé soixante-neuf ans auparavant. Presque au même lieu, à ses côtés, le petit-neveu du grand capitaine, le jeune prince de Conti, continuait les traditions de bravoure de son illustre maison. Déconcerté par cette brusque attaque, maintenu par des corps habilement échelonnés, paralysé par la mauvaise volonté des contingens de l’empire, Eugène demeura spectateur immobile et impuissant des mouvemens de Villars. Menées avec une grande activité, malgré l’énergique défense du baron de Harsch, conduites avec une rigueur que les historiens allemands ont taxée de barbare, mais que les approches de l’hiver imposaient à l’humanité naturelle de Villars, les opérations du siège marchaient vers un dénoûment rapide. La cour de Vienne, rendue plus traitable par « es succès, se décida à écouter les propositions de l’électeur palatin et à prendre en main elle-même la négociation. Elle confia à Eugène le soin de s’aboucher avec Villars, en lui recommandant de bien établir qu’elle ne demandait pas la paix, mais ne se refusait pas à examiner les offres qui lui étaient faites par la France.

Hundheïm, autorisé par Eugène, demanda une entrevue à Villars, qui s’empressa de lui envoyer des passeports. Le 25 octobre, le maréchal, approuvé par le roi, muni par lui des instructions les plus détaillées, se rendit près de Brisach, dans une obscure maison du village de Büsingen. Hundheïm y arrivait de son côté, conduit par Beckers et par le subdêlégué de l’intendant à Strasbourg et à Haguenau, un certain Hatzel, Alsacien a passionné pour les