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avait, douze ans auparavant, copié ses dépêches de Vienne ; depuis cette époque, il n’avait en d’autre fonction que de l’assister dans sa correspondance militaire. Villars avait, il est vrai, réclamé et obtenu le concours de Le Pelletier de La Houssaye, mais l’expérience administrative de l’habile intendant d’Alsace ne pouvait lui tenir lieu d’expérience diplomatique.

Eugène, au contraire, personnellement très au courant des détails, était admirablement secondé par Penterriedter, diplomate instruit et retors qui avait assisté à toutes les conférences d’Utrecht, et y avait acquis une connaissance approfondie de tous les intérêts, de toutes les ambitions, de tous les préjugés de la maison d’Autriche. La partie n’était pas égale. On s’en aperçut à la rédaction du projet : ainsi le préambule donnait à Charles VI, sans protestation de la part de Villars, tous les titres du roi d’Espagne ; l’article 2 le chargeait de représenter l’empire au traité d’extension, ce qui excluait du futur congrès tous les plénipotentiaires des princes allemands, parmi lesquels la France comptait des auxiliaires naturels. — La possession de Landau fortifié et du Fort-Louis était bien assurée à la France, ainsi que le rétablissement complet des deux électeurs, mais la France devait avoir évacué Fribourg, Brisach, Kehl et procédé à la démolition des forts des îles du Rhin trente jours après la ratification du traité, tandis que l’Autriche n’était tenue à évacuer les états des électeurs que trente jours après la ratification du traité d’extension, c’est-à-dire à une époque absolument indéterminée, qu’elle pouvait reculer à son gré en faisant durer les négociations. — L’article 15 reconnaissait à l’empereur le droit bizarre d’assiéger Porto-Longone sans violer la neutralité. — L’article 19 était encore plus insidieux ; il stipulait le renvoi aux plénipotentiaires chargés du traité d’extension, du règlement de toutes les réclamations particulières[1] et disposait que, « pour mieux en faciliter la conclusion, il ne sera parlé, dans l’extension du traité, d’aucune renonciation, traité ou garantie étrangère, Sa Majesté Impériale déclarant

  1. Ces réclamations comprenaient, outre les revendications légitimes des princes italiens dépossédés, celle du duc de Saint-Pierre, gentilhomme napolitain, dont les biens avaient été confisqués par l’empereur ; — celle d’un marquis de Sainte-Croix, gentilhomme romain, qui avait été quelque temps directeur des fêtes de l’empereur Joseph à Vienne et qui prétendait avoir reçu la promesse du fief de Viadana en Italie ; — celle de la duchesse d’Elbœuf, qui réclamait le douaire et l’exécution des conventions matrimoniales de sa fille, décédée duchesse de Mantoue ; — celle du duc de Lorraine, qui réclamait des indemnités pour les dommages que la guerre lui avait causés, malgré sa neutralité. Saint-Pierre était soutenu par Torcy, dont il avait épousé la sœur ; Sainte-Croix avait aussi à la cour de France des appuis influens ; l’empereur s’intéressait au duc de Lorraine ; néanmoins, de part et d’autre, on était au fond décidé à sacrifier ces réclamations particulières au prompt rétablissement de la paix.