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le christianisme du Vicaire Savoyard, avait toujours été sa pensée de derrière la tête. On le trouvait déjà, nous l’avons vu, dans la Littérature, en 1800. C’est là qu’elle se demandait, ce qui n’est point une question frivole, « quel système philosophique » réunirait et contiendrait dans une opinion commune les vainqueurs et les vaincus de 93, comme le christianisme avait fait le monde latin et le monde barbare. Chateaubriand n’avait peut-être pas lu d’assez près ce passage quand il se donnait comme voyant Jésus-Christ partout, et Mme de Staël comme ne le voyant nulle part. De même dans Delphine, la chrétienne protestante s’était révélée tout à coup, et même, à mon gré, avec un peu d’indiscrétion (mort de Mme de Vernon). Dans l’Allemagne, la pensée chrétienne l’attire de plus en plus. Elle y est amenée par le goût invincible qui est en elle « de ne point séparer les sentimens des idées. » Méditant sur l’impératif de Kant, elle voit très bien que la loi-devoir commandant parce qu’elle commande, et à laquelle il faut obéir sans autre raison de lui obéir sinon qu’elle commande sans donner aucune raison, n’est qu’une dernière idée théologique ; que c’est un Dieu placé en nous. Mais du moment qu’il est placé en nous, il est bien difficile de le faire parler comme une pure loi, froide, abstraite et sans accent. S’il doit nous parler ainsi, la vérité est qu’il ne nous parlera point. S’il nous parle et, dans la pratique, nous l’éprouvons assez, ce sera par la voix du sentiment, avec un cri d’indignation, ou de tendresse, ou de fierté. En appeler, en dernier recours, à la voix de la conscience, quelque précaution qu’on prenne et quelque effort qu’on fasse pour séparer la sensibilité de la morale, c’est toujours en appeler au sentiment. Faire quelque chose pour l’impératif, c’est toujours faire quelque chose pour l’amour de Dieu. Or l’amour de Dieu, ce n’est pas tout le christianisme, mais c’en est bien le fond.

C’est précisément celui de Mme de Staël. Elle unit étroitement l’idée du devoir au sentiment dont l’idée du devoir s’accompagne : « Celui qui dit à l’homme : trouvez tout en vous-même, fait toujours naître dans l’âme quelque chose de grand qui tient encore à la sensibilité même dont il exige le sacrifice. » C’est à cette loi du devoir devenue passion du devoir qu’elle se confie, qu’elle croit qu’il faut se confier. Elle arrive ainsi à une doctrine religieuse qui nous la montre bien telle que nous la connaissions déjà, mais comme échauffée à la fois et épurée par les hautes et nobles méditations des philosophes allemands, à « la religion de l’enthousiasme. » Écouter la voix du cœur, croire à une révélation perpétuelle de ce Dieu qui est en nous, reconnaître cette révélation à l’exaltation même de l’âme, à la confiance absolue avec laquelle elle écoute et