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rencontre allait, moins de dix ans après, concourir à changer l’axe de la politique européenne[1].


II

L’annonce de l’élection de Francfort, rapidement portée à Vienne, y fut reçue sans surprise et presque sans émotion. La nouvelle impératrice s’y attendait si bien et avec tant d’assurance, que tout était déjà réglé (je l’ai dit) pour son départ, jusqu’aux moindres détails du cortège et de la dépense. Aussi la joie de l’affection et de l’ambition satisfaites faisait déjà place, dans son âme, à un autre sentiment qu’elle avait peine à dominer.

Peu de jours en effet auparavant, elle avait reçu de son beau-frère le prince de Lorraine un courrier lui apportant une communication si étrange qu’elle avait eu peine à en croire ses yeux. Le prince, qui campait toujours sur la frontière de la Saxe et de la Bohême, lui faisait part qu’un messager du général de l’armée prussienne était venu lui demander un laisser-passer pour un courrier attendu de Hanovre, qui devait être porteur d’une convention conclue entre leurs maîtres communs et le roi d’Angleterre, et dont un des articles stipulait un armistice. Charles, au fond très fatigué d’une guerre qui ne tournait pas à l’avantage de sa réputation militaire, avait accueilli cette ouverture avec un plaisir que sa lettre laissait trop entrevoir ; mais en l’absence de toute instruction de sa cour, il avait, disait-il, dû se borner à répondre qu’il envoyait prendre des ordres à Vienne, et à promettre en attendant de ne faire lui-même aucun acte d’hostilité. Le bruit s’était sur-le-champ répandu dans l’armée que la paix était signée et que la guerre allait finir. Marie-Thérèse apprit ainsi, en quelque sorte par hasard, qu’en son absence et à son insu, en dépit de ses protestations formelles, son allié et son ennemi s’étaient entendus, et ce ne pouvait être qu’à ses dépens et dans les termes auxquels elle avait d’avance refusé d’adhérer. La nouvelle était publique, les deux armées en étaient informées avant qu’on eût pris soin même de la prévenir. Son irritation était au comble, et, en réalité, assez naturelle.

On peut juger par là de l’accueil qui attendait le ministre anglais, Robinson, lorsque le lendemain de l’arrivée du courrier du prince de Lorraine, ayant reçu lui-même des dépêches de Hanovre, il vint avec un air de profond mystère informer le ministre autrichien, le comte Uhlfeld, qu’il avait un acte très grave à soumettre à l’examen de la reine, mais qu’avant d’en faire part, il demandait qu’on lui

  1. Journal de Luynes, t. VII, p. 59 et 60.