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Le lendemain, il n’était question dans l’armée prussienne que de cette surprise nocturne qui ne faisait que médiocrement honneur à la vigilance de ses grands-gardes. Mais, quand Valori vint faire ses plaintes au roi de Prusse et lui raconter tous les détails de sa mésaventure avec une vivacité d’émotion bien naturelle, Frédéric le regarda en riant et lui répondit à peine, sans lui faire une ombre d’excuse ni une promesse de réparation. Loin de là, il parut s’amuser si fort de l’aspect ridicule que présentait le visage du gros homme tout rouge de colère et d’émotion, qu’il ne pouvait s’en taire, et quelques années encore après, il ne crut pas au-dessous de lui de consacrer une page de ses mémoires à en faire une description burlesque. On sait également que ce fut le sujet d’un poème comique qui figure encore dans ses œuvres, rimé à l’instar de la Pucelle, mais ne ressemblant au modèle que par la grossièreté et l’indécence[1]. Mais pourquoi, en vérité, le roi de Prusse se serait-il gêné quand le ministre du roi de France était d’humeur assez endurante pour prendre en douceur l’idée que son ambassadeur avait failli être livré la corde au cou à tous les outrages de la soldatesque ? Sur la dépêche de Valori racontant le traitement dont il était victime, on lit, de la main même de d’Argenson, cette note d’une brièveté éloquente : — « L’ordre du roi est qu’il se relire à Berlin ou à Breslau et qu’il quitte le camp où il est si mal gardé et si mal voulu. Le roi de Prusse, allié courageux, ferme et entreprenant, met trop peu d’onction et de concert avec un allié tel que le roi. »

L’onction et le concert avaient manqué effectivement au plus haut degré à la négociation que le roi de Prusse venait de conclure, et, puisque d’Argenson avait enfin reconnu sur quels sentimens il pouvait compter de la part de ce ferme et courageux allié, c’eût été bien le moins que le résultat qu’il pouvait prévoir ne le trouvât pas obstinément incrédule. Aux premiers indices, cependant, qui lui parvinrent de la convention de Hanovre (et ce furent les communications de Chavigny qui arrivèrent les premières, Munich étant plus rapprochée de la France que Dresde), il opposa la résolution très arrêtée de ne pas y ajouter foi. — « Répondre (met-il en note sur la dépêche de Chavigny) qu’il faut rejeter toute idée de négociation avec la cour de Vienne par la médiation de la Saxe. Dire toujours que le roi est persuadé que le roi de Prusse demeure fidèle et que

  1. Frédéric, Histoire de mon temps, chap. VII. C’est dans le premier texte inédit de cette histoire que se trouvent les moqueries si peu convenables dont je parle. Frédéric eut pourtant le bon goût de les faire disparaître dans l’édition qu’il a donnée lui-même au public. Quant au poème auquel l’aventure de Valori sert de prétexte, c’est une détestable rapsodie que l’éditeur des œuvres complètes du roi de Prusse aurait mieux fait de supprimer pour l’honneur de sa mémoire.