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teintée de rose. Notre École des Beaux-Arts possède un portrait de vieillard, à la gouache, qui se rapproche davantage du style des tableaux de Lorenzo, c’est-à-dire qui montre une facture passablement pénible : c’est la signature du maître.

Les recherches de M. Milanesi, l’érudit et obligeant directeur des archives d’état de Florence, nous ont valu dans ces dernières années de curieuses révélations sur deux autres condisciples de Léonard, dont l’humeur, ce semble, répondait bien mieux à la sienne, et vers lesquels l’attirait une autre circonstance encore : la similitude dans l’irrégularité de leur situation de famille ; je veux parler des deux étranges personnages connus sous les noms non moins étranges d’Atalante et de Zoroastre.

Atalante, né à Florence en 1466, était avant tout un habile joueur de luth ; ce fut en cette qualité qu’il accompagna son ami Léonard à la cour de Ludovic le More. Sa réputation grandit au point qu’en 1490 le marquis de Mantoue, désirant faire représenter l’Orphée de Politien, l’appela pour remplir dans cette pièce le rôle principal. Puis, sa gourme jetée, Atalante, comme tant d’autres, se résigne à des fonctions subalternes, au rôle d’une sorte de bureaucrate, triste couronnement d’une carrière qui avait si brillamment commencé. En 1513, l’année même où Léonard se rendit à Rome en vrai triomphateur, entouré d’une pléiade d’élèves, Atalante occupait à la cour pontificale la place de vérificateur des travaux d’architecture. C’était du moins un dernier lien qui le rattachait aux choses de l’art; vingt-deux ans plus tard, en 1535, la veille de sa mort, on le trouve encore dans cette situation obscure, qui lui laissait le loisir de méditer sur les folies de sa jeunesse.

Zoroastre de Peretola, ou, pour l’appeler de son vrai nom. Tomaso Masini (il semble avoir eu pour père Bernard Rucellai, le beau-frère de Laurent le Magnifique), se singularisa d’abord par son costume, dont les élémens étaient invariablement empruntés au règne végétal. Pour rien au monde il n’aurait porté sur lui la dépouille d’un animal mort; une veste composée de noix de galles, don de son ami Léonard, lui valut le surnom de « Gallozzolo. » Plus tard, il dut à ses connaissances magiques ceux de « Indovino » (le devin) et de Zoroastre. Il accompagna Léonard à Milan, et plus tard, lors de l’exécution de la Bataille d’Anghiari, destinée au palais vieux de Florence, lui servit d’aide, voire de broyeur de couleurs (marinatore. di colori) rôle infime qui prouve ou sa grande affection pour son ancien condisciple, devenu son maître, ou la modération de ses désirs. Lasca, dans deux de ses Novelle, a immortalisé les charges faites par Zoroastre en compagnie de plusieurs de ses confrères. La conduite du personnage dans ses dernières années fut cependant relativement rangée et digne, tout comme