Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/701

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qui est bizarre dans ce livre, c’est le titre : Juvenilia, comme qui dirait distractions, folies ou péchés de la jeunesse. Ces deux petits volumes, destinés à nous faire mieux comprendre la renaissance italienne et la renaissance anglaise, Raphaël et Shakspeare, l’auteur, quoiqu’il ne soit pas encore, il le dit lui-même, « à l’âge des feuilles jaunes, » éprouve une sorte de confusion de les avoir écrits, il craint d’y avoir compromis sa gravité. Il se souvient d’une figure allégorique qu’il a vue dans la cathédrale de Sienne, et qui représente un jeune homme tenant sur son poing un faucon ; il déclare que, chasser au faucon ou étudier les lois de l’art et du beau, sont des occupations du même ordre, qui peuvent sembler indignes d’un homme sérieux. M. Vernon Lee est un habile critique d’art, mais M. Vernon Lee est un Anglais. O mystères d’une conscience anglaise! Cet esthéticien enthousiaste, mais repentant, adore les grands maîtres et leurs chefs-d’œuvre, mais il s’en fait de publics reproches; il est passionné de la grande peinture, mais sa passion lui cause quelque honte, il sent l’indignité de sa chaîne. Il affirme qu’il n’y a de vraiment agréable dans ce monde que l’art, mais il ajoute bien vite qu’un Anglais qui se respecte doit s’occuper surtout des choses désagréables; et à la face du ciel et des hommes, il prend l’engagement solennel de préférer désormais ses devoirs à ses plaisirs.

Cicéron, ce fin connaisseur en art grec, affectait dans ses Verrines de ne s’y pas connaître ; il se prétendait incapable de distinguer un Praxitèle d’un Scopas on d’un Myron. Pour un Romain, la guerre et la politique étaient les seules études dignes d’un homme sérieux. Ce n’est pas à la politique et à la guerre que M. Vernon Lee se propose de sacrifier son dilettantisme très éclairé; ce sont les questions sociales et les questions de conscience qu’il fait passer avant tout. Il s’est trop livré à la gourmandise de ses yeux, il a trop savouré les jouissances de l’esprit. Il en fait pénitence, il a juré de se mortifier; cet épicurien, plein de componction, édifiera le monde par sa tristesse. A la vérité, il n’a pu se refuser la joie de publier, une fois de plus, deux charmans volumes, consacrés à Satan et à ses pompes; il s’est dit comme Ulysse : « Péchons une fois encore, demain nous serons d’honnêtes gens. »

Naguère, il avait remporté dans ses yeux tous les enchantemens d’un printemps florentin, cette plaine, tachetée de villages, que traversent les eaux verdâtres de l’Arno, des terrains onduleux, des tertres couronnés de villas, de couvens et d’églises, des collines plantées de vignes et d’oliviers, des bosquets de cyprès, des pins-parasols, des chemins grimpant entre deux murs et conduisant à des surprises, des violettes au pied des haies, des blancheurs de cerisiers fleuris, un ciel doux, l’Apennin gris de perle. A quelque temps de là, il voyait Newcastle