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En s’emparant de la plus grande partie des biens des monastères, l’état s’était engagé à contribuer à l’entretien des moines. De là l’allocation « aux laures et monastères » qui figure encore au budget impérial. Cette subvention montait, en 1875, à 440,000 roubles ; en 1887, elle était réduite à 402,000. Cette somme était inégalement répartie entre plus de trois cents monastères, habités par 5,500 moines ou frères lais et par au moins autant de religieuses. Chacun des couvens subventionnés ne recevait guère en moyenne qu’un millier de roubles, c’est-à-dire à peine de quoi entretenir une de ses églises. En fait, pour une trentaine de ces couvens, l’allocation gouvernementale ne dépassait pas 500 roubles, tombant pour quelques-uns à 20 roubles. Calculés par tête de religieux, les subsides annuels du gouvernement n’atteignaient pas en moyenne 40 roubles, soit, au cours du change, moins d’une centaine de francs. Si sobre que soit leur table, ce n’est pas avec une pareille dotation que peuvent vivre les monastères et les moines. Aussi entend-on souvent réclamer la suppression de ces subventions de l’état, d’autant que les monastères subventionnés sont parfois les plus riches. Les défenseurs des couvens répondent que ces allocations du trésor ne sont qu’une maigre indemnité des biens qui leur ont été enlevés.

Ces biens confisqués au XVIIIe siècle, les monastères russes sont parvenus à les reconstituer, en partie, au XIXe siècle. C’est là un phénomène qui n’a rien d’étrange ; il s’est reproduit partout sous nos yeux ; la générosité de la foi et l’avare économie de la vie religieuse suffisent à l’expliquer. En enlevant leurs biens aux couvens, le gouvernement russe leur a laissé ou leur a rendu la faculté d’en acquérir de nouveaux. L’état a opposé d’autant moins d’obstacles à la reconstitution de la fortune monastique que, grâce à l’organisation de l’église, l’emploi de cette fortune n’échappe pas entièrement au contrôle du gouvernement.

Comme institution de l’état, les monastères jouissent de la personnalité civile ; pour chaque acquisition de terre, à titre onéreux ou gratuit, il leur faut toutefois une autorisation. Non content de leur permettre d’accepter les libéralités des particuliers, l’état a parfois lui-même concédé aux moines des domaines pris sur les biens de la couronne. On calcule que, de 1836 à 1861, le gouvernement impérial a ainsi distribué, entre 180 couvens, 9,000 désiatines (le terres ou de prairies et 16,000 désiatines de forêts[1]. Vers la fin du règne d’Alexandre II, les propriétés territoriales du clergé noir étaient évaluées à près de 156,000 désiatines; et, depuis, elles ont dû grandir encore. Les monastères du gouvernement

  1. La desiatine vaut 1 hectare 9 ares.