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de connaissances exactes. J’imagine même que quelques radicaux à longs poils rapportent de cette expérience un certain respect pour les bureaux et sont un peu moins disposés à envisager l’hôtel de la préfecture comme le palais de la Belle-au-Bois-dormant.

Il serait facile d’améliorer l’institution et de corriger la loi de 1871. Celle-ci, trop défiante à l’égard des préfets, aurait dû leur donner la présidence de la commission départementale comme cela se passe en Belgique. Du même coup, on aurait supprimé les causes d’antagonisme. Elle aurait dû aussi mieux définir les attributions. Autant il est naturel de laisser l’examen des questions financières au conseil-général ou à ses délégués, autant il paraît absurde de leur conférer un pouvoir de décision dans des affaires qui relèvent essentiellement de l’exécutif. Avec ces légères retouches, la commission départementale garderait sa principale utilité, qui est de rapprocher autour du même tapis vert, dans le calme d’un labeur sans éclat et sans publicité, le délégué du pouvoir central et les mandataires élus du département.


Ainsi, du haut en bas, depuis l’assemblée du village jusqu’au conseil-général, la vie abonde et circule avec force. Les lumières, moins répandues, augmentent à mesure qu’on gravit les degrés de cette échelle de Jacob. Les uns secouent leur indifférence, les autres se dégagent du brouillard des théories, et commencent à saisir, de leurs mains encore inhabiles, non plus des phrases, mais des faits. Ceux qui jugent notre pays d’après les agitations de la surface ne le connaissent pas : profilant des libertés qu’on lui accorde pour conquérir celles qu’on lui refuse, il est en train de se transformer profondément. Il s’est mis résolument à l’école des affaires, qui est celle du sens commun. La France départementale a travaillé, malgré les crises ministérielles, comme la France militaire, malgré le changement de ses chefs; et ce travail souterrain décidera peut-être de notre avenir.

Après cela, qu’on supprime les sous-préfets ou qu’on les maintienne, qu’on favorise ou qu’on réprime l’envahissement des bureaux, qu’on allège ou qu’on surcharge la masse confuse de nos règlemens, la question, en vérité, paraîtra presque secondaire. Une législation maladroite pourra ralentir le mouvement au lieu de l’accélérer : elle ne l’étouffera certainement pas. Si le cadre officie! est trop étroit, cette vitalité provinciale qu’on nous refuse, et qui se manifeste cependant par tant de signes certains, le fera éclater tôt ou tard. La sagesse des hommes politiques doit consister à écarter les obstacles inutiles, à diriger cette montée de sève et à la faire jaillir au bon endroit.