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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/53

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sur l’homme ; Hésiode, même Homère, n’avaient pu trouver grâce devant lui ; il leur reprochait d’avoir dégradé l’idée de la divinité, en prêtant à leurs dieux des actions et des sentimens indignes de l’Être absolu. Toutefois, Xénophane n’était point parvenu à concilier, tout en les distinguant, Dieu et le monde, la cause et l’effet. Pour sortir de ce mélange indécis de théisme et de panthéisme, son disciple, le redoutable Parménide, comme Platon l’appelle, ne trouva d’autre moyen que de nier le monde. Il le déclara une apparence vaine, et nos sens qui nous le montrent des instrumens d’erreurs. Démocrite, au contraire, réduisait le problème de l’univers à une question de mécanique ; il n’existe, selon lui, d’autre substance que celle des corps, d’autre force motrice que la pesanteur, et il se riait de ceux qui des phénomènes de la nature avaient fait des dieux. Un de ses disciples, Diagoras de Mélos, niait résolument leur existence. Pour se moquer des douze travaux d’Hercule, il jetait au feu une statue en bois du fils de Jupiter et lui demandait d’accomplir un treizième exploit en triomphant de ce nouvel ennemi. A Samothrace, les prêtres lui montraient, en preuve de la puissance de leurs dieux, les offrandes des navigateurs échappés au naufrage. « Mais combien en auriez-vous, leur dit-il, si tous ceux qui ont péri vous en avaient envoyé ? »

Tandis que les philosophes minaient la religion nationale par la raison, les poètes comiques la tuaient par le ridicule, et leur influence s’étendait rapidement chez un peuple où tout le monde lisait, même en voyage. Quel devait être l’effet produit sur la foule réunie au théâtre, quand, à Athènes, on jouait le Plutus, les Oiseaux et les Grenouilles d’Aristophane, qui traitent les dieux si irrévérencieusement ? A la cour des tyrans de Sicile, la satire politique n’étant point de mise, l’Olympe paya pour l’Agora : les puissans du jour furent épargnés, mais les poètes vilipendèrent les anciennes puissances de la terre et du ciel. Dans ses comédies syracusaines, Épicharme faisait de Jupiter un gourmand obèse de Minerve une musicienne de carrefour ; de Castor et Pollux, des danseurs obscènes ; d’Hercule, une brute vorace. On sait que Plaute copia souvent ce poète audacieux, dans son Amphitryon par exemple ; et pourtant Épicharme était un personnage grave, dont on a fait un philosophe ! Syracuse lui éleva une statue avec cette inscription : « Autant le soleil l’emporte par son éclat sur les autres astres et la mer sur les fleuves, autant Épicharme l’emporté par sa sagesse sur les autres hommes. »

Ainsi, l’ancienne poésie qui avait vécu d’images, et la nouvelle philosophie, qui vivait d’abstractions, ne pouvaient pas s’entendre. L’une avait fait les Olympiens à la ressemblance de l’homme, l’autre