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ouvertes, plus dégagées qu’ailleurs. Les hommes surtout ont parfois très grande tournure dans leur ample vêtement. Ils sont aisément reconnaissables, et-cependant ils offrent des types très variés, depuis l’israélite fin comme l’acier, pâle et maigre, les yeux rivés sur sa besogne, jusqu’au géant sanguin, au large nez busqué, à la bouche sensuelle, qui a surtout retenu, de la sagesse de Salomon, le Cantique des cantiques. Le type assyrien est fort répandu. Certaines rues du bazar ressemblent à un bas-relief de Ninive et de Babylone, où de magnifiques Assourbanipal vendraient des melons et des pastèques. Le costume des femmes juives est charmant ; elles portent le fichu brodé croisé sous les seins et le bandeau de soie posé sur la tête à l’égyptienne. Celles que j’ai vues sont d’un type assez régulier, mais banal ; de beaux yeux dans une face ronde et pâle. On m’affirme que les jolies restent à la maison. Les Juifs sont Orientaux sur ce point. Au risque de provoquer leur jalousie, je me suis faufilé dans les ruelles étroites et les impasses où ils abritent leur vigne et leur figuier. A force de peine, j’ai découvert une superbe fille de Sion, brune et svelte, au port de reine, aux yeux de velours, tenant un balai comme un sceptre. Je me suis récité le Nigra sum, sed formosa ; « O filles de Jérusalem ! ne considérez pas que je suis devenue brune, car c’est le soleil qui m’a ôté ma couleur. Les enfans de ma mère se sont élevés contre moi. Ils m’ont mis dans les vignes pour les garder... » Puis je me suis esquivé, parce que, des masures environnantes, un certain nombre d’Aarons et d’Isaacs commençaient à m’observer avec plus de curiosité que de bienveillance.

Les Juifs exercent ici tous les métiers indifféremment, depuis les professions manuelles jusqu’aux emplois les plus élevés. Naturellement, ils excellent surtout dans le trafic ; mais cette aptitude n’a rien d’exclusif. Ils sont aussi bien fabricans, portefaix, drogmans, bureaucrates, que courtiers ou banquiers. Ils occupent tous les degrés de l’échelle sociale, depuis le plus haut jusqu’au plus infime. Les premiers négocians de Salonique sont des Israélites : les Allatini, les Modiano, sont aussi connus à Marseille, à Paris ou à Londres que sur les bords de la mer Egée. Mais, à côté de ces grands seigneurs, il y a de pauvres diables de Juifs aussi malchanceux que des chrétiens. J’insiste sur ce caractère, parce qu’il contredit l’opinion commune d’après laquelle le Juif s’engraisserait nécessairement de la sueur des autres, et jouerait, à l’égard des races voisines, le rôle d’un parasite presque toujours heureux. N’en déplaise aux antisémites, c’est un préjugé dont il faut se défaire. On meurt de faim dans Israël tout comme chez nous ; on y connaît, comme chez nous, les inégalités sociales. Rien n’est plus somptueux que