Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retenu que l’ardente et commune aspiration de tous les mortels vers un être plus haut et plus grand. Rien ne meurt; tout change et se renouvelle. Aujourd’hui comme autrefois, il n’y a de dieu que Dieu. »

Revenons donc au présent ; rentrons dans le petit chaos macédonien qui se démène là-bas. Saluons au passage un vieil arc de triomphe tout découronné, qui s’obstine à profiler sur le ciel les briques chancelantes d’une voûte romaine, tandis qu’à la base, derrière les étalages de fruitières, des reliefs enfumés, pleins d’action, de mouvement et de combats, racontent encore les hauts faits du peuple-roi. Aussi bien, ceux qui ont bâti cette arche avaient l’âme fortement trempée; ils ne s’abandonnaient point aux attendrissemens inutiles. Ils ne pleuraient pas sur les Daces vaincus ni sur les civilisations qu’ils étouffaient dans l’œuf. D’ici, l’on apercevait les toits de Salonique descendant d’étage en étage jusqu’à la mer bleue, entremêlés d’arbres verts, de coupoles blanches et de minarets. L’endroit est bon pour se recueillir et pour interroger l’avenir de cette belle cité, qui est là tranquillement assise au soleil sur un monceau de ruines.


IV.

Ce grand caravansérail oriental n’a jamais été une capitale : elle n’a pu jouer un rôle politique qu’à l’époque reculée où les villes de la mer Egée formaient autant de petites républiques, et plus tard, à l’âge du morcellement féodal, lorsque le marquis de Montferrat se taillait un royaume dans la péninsule chalcidique. La nature elle-même n’a point doté Salonique pour devenir le centre d’un grand empire. Ceux qui prétendent l’opposer à Constantinople méconnaissent les lois les plus élémentaires de l’histoire. Est-elle, comme Byzance, à cheval sur deux continens et sur deux mers? Peut-elle se flatter de tenir les clés des détroits, et par conséquent celles de la Russie, de toute l’Asie antérieure et d’un immense domaine maritime? Songez un instant à la fortune de Constantinople : nulle ville au monde n’est mieux faite pour se suffire à elle-même et pour se dérober à ses ennemis. Plus d’une fois elle a tenu enfermée dans ses murs toute la majesté du peuple romain. Les efforts de vingt peuples divers sont venus échouer contre ses remparts. On connaît l’histoire de ce Siméon, le Charlemagne bulgare, qui s’avança vainqueur jusqu’aux portes de Byzance, et, reconnaissant son impuissance, rebroussa chemin en déchargeant sa colère sur les campagnes de la Thrace. La ville impériale jetait tour à tour l’Europe sur l’Asie et l’Asie sur l’Europe, puisant à pleines mains dans l’une