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donc purement et simplement dans la privation de la liberté, privation qui est amplement compensée pour eux par l’avantage d’être logés, nourris, chauffés gratuitement, et de passer leurs journées dans l’oisiveté, au sein d’une société qui leur est agréable. N’est-ce pas l’explication de bon nombre de récidives, et aussi de ce fait, bien connu des magistrats, qu’à l’entrée de la mauvaise saison, ou tout simplement par les temps de neige et de froid rigoureux, la proportion des arrestations pour vagabondage ou infractions aux arrêtés de surveillance croît sensiblement? C’est là, pour un certain nombre d’individus, un moyen assuré de passer leur saison d’hiver aux frais de l’état. Ils font choix de leur lieu de détention, comme de plus fortunés qu’eux choisissent entre Pau, Cannes ou Nice, et ils se déterminent surtout par des considérations de régime et de société. À ce point de vue, les prisons de la Seine sont particulièrement bien famées dans le monde des malfaiteurs. Nous allons voir qu’elles ne sont pas indignes de leur bonne réputation.


II.

Paris contient une maison d’arrêt et une maison de justice pour hommes, Mazas et la Conciergerie ; une maison d’arrêt, de justice et de correction pour femmes, Saint-Lazare, et trois maisons de correction pour hommes, Sainte-Pélagie, la Grande-Roquette et la Santé[1]. Je n’ai pas l’intention de faire la description de chacune de ces prisons. On la trouvera, sauf pour la maison de la Santé, qui n’existait pas alors, dans l’article que M. Maxime Du Camp a consacré, en 1865, aux prisons de la Seine, et là où ce maître en descriptions a passé, il ne laisse généralement pas grand’chose à glaner après lui. Je voudrais seulement m’attacher à montrer toute l’incohérence du régime qui est en vigueur dans ces prisons. Lorsqu’un département auquel certes les ressources ne manquent pas donne un pareil exemple d’insouciance et de sans-gêne avec la loi, il n’est pas très étonnant que des départemens moins fortunés en agissent de même et ne se préoccupent pas beaucoup du sort des quelques centaines de détenus qui passent par leurs prisons tous les ans. Qu’est-ce, en effet, que le mouvement des prisons du Lot ou de la Creuse comparé avec celui des prisons de la Seine, où en 1884, 2,282,472 journées de détention, soit plus du quart de tout le reste de la France, ont été subies? L’incurie dont le conseil général de la Seine, qui a charge de cette nombreuse population, fait

  1. Je crois devoir laisser de côté la Petite-Roquette, qui est spécialement affectée aux jeunes détenus et dont j’ai eu occasion de parler autrefois.