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dont l’honneur lui revint et dans laquelle les Danois perdirent deux vaisseaux.

Ces événemens lui sont restés si présens qu’il en parle comme d’une histoire toute fraîche, et le cœur lui bat encore en nous rappelant combien était noble et généreuse la cause qu’il défendit alors contre le Danoig, superbe oppresseur de l’Allemand. Nous savons ce qu’il en faut penser. Dans ce temps, on se battait pour le principe des nationalités et la liberté des peuples; bientôt après, on déclarait qu’il n’y a pas d’autre droit que la raison d’état. En 1848, on s’occupait de délivrer « les frères opprimés du Holstein ; « vingt-deux ans plus tard, on conquérait l’Alsace, dont un roi de Prusse avait dit, dès 1709, que « ses habitans étaient plus Français que des Parisiens, « et que, si jamais l’empire germanique la reprenait, « il n’y trouverait qu’un amas de terre morte couvant un brasier d’amour pour la France[1]. » Les vexations qu’ont endurées jadis les Allemands du Holstein nous paraissent bien douces quand nous pensons aux procédés barbares qu’on a inventés pour réduire les Alsaciens Il y a des maîtres qui, se croyant d’une espèce supérieure, née pour commander, ne se contentent pas d’être craints et obéis; ils exigent qu’on les admire, qu’on les respecte, qu’on se fasse honneur et gloire de les servir. « Vous nous tenez, disposez de nous, répondent les opprimés; vous n’obtiendrez jamais que nous aimions notre et lavage, que nous baisions nos chaînes, la verge qui nous frappe et la poussière de vos pieds. »

On a prétendu qu’en 1849 le duc de Saxe-Cobourg-Gotha avait été sur le point d’offrir ses services au parlement de Francfort, qui avait échoué dans ses négociations avec la Prusse, et de ceindre la couronne impériale dont Frédéric-Guillaume IV n’avait pas voulu. C’est un conte en l’air, et on ne s’étonnera pas que les Mémoires n’en disent rien. Le duc a pourtant pris la peine d’y transcrire tout au long une lettre qu’il reçut au mois de mai 1849. L’inconnu qui l’avait écrite déclarait que le glorieux vainqueur d’Eckernfoerde, rejeton d’une race illustre, visiblement créée pur régler les destinées de toutes les nations de l’Europe, était le héros, le sauveur promis à l’Allemagne. Il l’exhortait à lever un bataillon d’élite, une phalange de vaillans guerriers allemands, il l’assurait qu’avant peu un peuple entier se rangerait à ses côtés Cet inconnu souffrait d’une maladie du foie et faisait une cure à Kissingen. Le duc a toujours pensé que pour faire de bonne politique il faut avoir le foie sain. Cependant, l’impétueuse éloquence de ce malade lui avait fait quelque impression, car il écrivait à son frère que des inconnus lui adressaient de pressans appels, l’exhortaient

  1. Neuchâtel et la politique prussienne en Franche-Comté (1702-1713}, d’après des documens inédits, par Emile Bourgeois, docteur ès-lettres. Paris, 1887; Ernest Leroux, éditeur.