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sans avoir dit un mot, sans qu’on lui ait demandé ni un gage ni un programme. Tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’à des opinions républicaines dont on ne peut douter, il allie le goût de la modération, la droiture du caractère et de bonnes intentions, probablement aussi l’intention de rester le plus possible à l’Elysée. Le message qu’il a adressé aux chambres pour sa bienvenue, et qui est jusqu’ici le seul acte public par lequel il ait révélé sa pensée, est une déclaration de bonne volonté encore plus qu’un programme de gouvernement. Tout y est, il ne reste qu’à en dégager une politique sérieuse et décidée, un système de conduite précis. M. Carnot hésite visiblement, on le voit bien, et la première, la plus évidente marque de ses hésitations, a été la manière dont il a fait son ministère. Il aurait pu, c’eût été même la chose la plus simple, garder comme premier ministre M. Bouvier, qui avait un budget tout prêt, et qui de plus a montré de la tenue dans les dernières crises. Il s’est laissé séduire par l’idée d’un nouvel essai de fusion ou de concentration républicaine. Il a bientôt vu qu’on ne fait pas un gouvernement avec un amalgame d’élémens incohérens, avec une majorité anarchique. Le résultat de toutes ses tentatives a été en fin de compte un ministère modeste et effacé, sous la présidence de M. Tirard, qui n’a eu rien de plus pressé que d’aller demander le moyen de vivre, le vote de trois mois de subsides, et de porter aux chambres un programme ministériel de plus, une déclaration encore moins décisive que celle de M. le président de la république. On lui a tout accordé sans confiance; on en est resté là, et les chambres sont parties pour aller prendre un repos si bien gagné, — pour aller préparer aussi les élections sénatoriales qui vont ouvrir l’année.

Ce n’est pas un dénoûment, on le sent bien. C’est tout au plus l’ajournement des résolutions nécessaires à la session prochaine, après le renouvellement du sénat, qui ne laisse pas d’avoir son importance à cette heure incertaine où se débattent peut-être les destinées de la France. Ce ministère Tirard, quelque bien intentionné qu’il puisse être comme M. le président de la république lui-même, n’est visiblement qu’un ministère de circonstance et d’attente, qui ne répond qu’incomplètement aux nécessités d’une situation si profondément ébranlée, qui ne résout rien. Il a pu sans doute se présenter comme un cabinet d’affaires, promettre dans son programme de s’occuper des caisses de secours et de retraite pour les ouvriers, de l’assistance publique dans les campagnes, du régime des mines, de l’enseignement agricole, du code rural. C’est fort bien ! Le problème essentiel ne reste pas moins tout entier. Il s’agit avant tout de savoir quelle sera la direction supérieure de la politique de la France, ce qu’on fera pour remettre l’ordre dans les finances, pour pacifier les esprité, pour ramener la vigilance et l’équité dans l’administration, pour raffermir l’organisation militaire ébranlée par des projets chimériques ;