Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paru attacher un moment à la triple alliance, le chancelier n’en est pas à une évolution près. Il garde probablement encore, il gardera jusqu’au dernier moment, l’espoir de se réconcilier avec la Russie, et il pourrait bien un de ces jours aller chercher dans les Balkans, en Bulgarie, la solution dont il a besoin, dont le prince Ferdinand, l’élu des Bulgares contre l’influence russe, paierait les frais par une retraite forcée. Il le pourrait d’autant mieux qu’il n’a jamais abandonné le traité de Berlin, et ce serait par un retour plus ou moins déguisé à ce traité qu’il croirait trouver une satisfaction qui pourrait apaiser le tsar. Reste à savoir si ce serait bien facile, si ce serait même une solution; mais y a-t-il des solutions aujourd’hui? y a-t-il en Europe autre chose qu’un provisoire gardé par la force? Lord Salisbury, dans une réunion conservatrice à Derby, disait l’autre jour que le vrai danger était moins dans des incidens de diplomatie grossis par les journaux que dans les arméniens toujours croissans de toutes les puissances; que ce serait une témérité de vouloir prédire au-delà de l’heure présente. Le danger existe sans nul doute; il est dans les arméniens démesurés, il est aussi dans ces combinaisons par lesquelles on croit protéger la paix, et on ne fait que rendre les antagonismes plus éclatans, plus redoutables. C’est à la vérité une situation qu’on ne changera pas du jour au lendemain. Pour le moment, ce serait déjà beaucoup si, sans chercher une solution insaisissable, on trouvait le moyen de prolonger la trêve des peuples, de gagner du temps, de préparer encore une année de paix à l’Europe.

Le malheur est qu’au milieu de toutes ces agitations de ce qu’on appelle la grande politique et de ces mêlées bruyantes de toutes les rivalités, les affaires plus modestes des peuples sont souvent interrompues. Mieux vaudrait sans doute s’occuper un peu plus dans tous les pays de ce qui touche aux conditions pratiques de la vie nationale. Les intérêts sont de grands pacificateurs ; mais les intérêts deviennent ce qu’ils peuvent, et se ressentent inévitablement des passions, des jalousies, de toutes les influences qui règnent dans la politique. Des questions qui devraient être résolues restent en suspens, et deux nations comme la France et l’Italie risquent de se réveiller en face d’une guerre meurtrière de tarifs. C’est la faute du gouvernement italien, c’est la faute du gouvernement français, c’est la faute de tout le monde si l’on veut : les deux nations n’ont pas moins été exposées à voir leurs intérêts compromis, leurs relations commerciales troublées. Comment en est-on venu là? C’est une histoire bien simple, où la politique a un peu son rôle, où la lutte du protectionnisme et du libre-échange a aussi sa place. Le dernier traité de commerce entre les deux pays date de 1881. L’Italie a cru devoir le dénoncer il y a un an, et les négociations ont été ouvertes pour régler dans des conditions nouvelles les relations commerciales. Ces négociations n’ont conduit à