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d’une semaine se trouve en possession d’une demi-douzaine d’états civils dont il va se servir à son profit. Ces filous portent un nom dans leur monde : on les appelle des « rinceurs de fafiots, » des voleurs de papiers. Plus que le riche, le pauvre est exposé à être dépouillé. Je me rappelle un fait qui m’a laissé une vive impression : une femme, hâve et mourant de faim, tombe d’inanition à la porte d’un bureau de commissionnaire au mont-de-piété, dans le quartier Saint-Jacques ; on s’empresse autour d’elle. Lorsqu’elle revient de sa syncope, elle cherche le paquet de linge qu’elle venait engager et ne le retrouve plus : un voleur l’avait enlevé. Heureusement on la conduisit chez le commissaire de police, où elle reçut un secours immédiat. Le vice saisit toute occasion de se manifester : la nuit, sur le boulevard, pendant l’incendie de l’Opéra-Comique, alors que les sinistres civières charroyaient les cadavres, le vol et la débauche ne se gênaient guère au milieu de la foule.

Les lettres expédiées par l’indigence menteuse, — qui n’en a reçu ? — ont toutes un air de famille auquel on les reconnaît. Les aventures sont diverses, les infortunes sont différentes, mais le ton général est le même et les formules sont identiques : éloges outrés du futur bienfaiteur, abus d’épithètes, désespoir emphatique ; ce qui domine, c’est l’accent de l’imposture que l’on exagère pour en faire l’accent de la vérité. La suscription seule de l’adresse est un indice auquel ne se trompent point les personnes accoutumées à recevoir ce genre de correspondance. Tout événement connu, tout sinistre retentissant sert de prétexte à la quémanderie. Après la guerre franco-allemande, la plupart de ces requêtes étaient signées par des individus que le patriotisme avait forcés à quitter Strasbourg (Lorraine) ou Metz (Alsace). Ils n’y regardaient pas de si près ; bien des braves gens, envoyant leur aumône, n’y regardaient pas plus qu’eux, et l’on pouvait admettre que la charité leur avait fait oublier la géographie. Lorsque notre Midi fut ravagé par des inondations, on n’était plus sollicité que par des inondés qui se trouvaient réduits à la dernière misère, après avoir sauvé quelques femmes et plusieurs enfans. Ceux-là ne réclamaient qu’un prêt, un simple prêt, afin de pouvoir attendre la récompense pécuniaire que le gouvernement leur avait promise. Je garde précieusement la lettre d’un bon Français, qui me priait de venir à son aide parce que le tremblement de terre d’Ischia l’avait complètement ruiné, « car, me disait-il, ce cataclysme inénarrable l’avait empêché d’établir à Casamicciola un hôtel perfectionné où il n’aurait pu manquer de faire fortune. » Ce motif ne put me convaincre.

La pureté des sentimens religieux de quelques-uns de ces drôles est édifiante ; seulement leur ferveur varie selon la qualité des personnes qu’ils invoquent, et sans grand effort ils sont tour à tour