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trop souvent couronnés de bois mort, mais encore imposans dans leur décadence, rideaux de pruniers autour des toits dispersés, partout l’arbre attire et repose la vue. Entre Palanka et Medjuludjé, il semble qu’on traverse un immense parc anglais, tant les chênes et les ormes s’épanouissent avec aisance sur des clairières de gazon. Malheureusement, si j’en crois les gens bien informés, les Serbes ne respectent pas leurs arbres. Au lieu de ménager les débris de la forêt primitive pour distribuer sur leur territoire de grandes réserves de fraîcheur et d’humidité, ils dépensent sans compter ce patrimoine si lent à refaire. Tout est abandonné au caprice des communes et des particuliers. Si les Serbes ne veulent pas devenir aussi pauvres que les Macédoniens, ils devront arrêter ce pillage. Déjà les bois trop clairs résistent moins bien à la chaleur, aux orages, à la neige. Les vieux chênes épars ne sont plus soutenus et réchauffés par le menu peuple des rejetons, qui brisaient l’effort du vent dans les ramures entre-croisées.

Dans les vallées latérales, même aspect riant, même fécondité. Partout de grandes ondulations de terrain, des massifs montagneux encadrent et protègent des plaines verdoyantes. Partout le sol regorge. Lorsque la main des hommes néglige de l’ensemencer, il se couvre d’une végétation folle et puissante. On voit alors des champs entiers de fleurs jaunes ou blanches qui, de loin, font l’illusion du colza ou du sarrazin. Dans la plaine de Nisch, dominée par les contreforts des Balkans et par la pyramide de la Suva-Planina, le terre végétale, rouge, grasse et forte, est si profonde, qu’on a dû l’employer à construire les remblais du chemin de fer. La vallée de Kragujevacz, avec ses longues files de collines peu élevées et son large bassin débordant de maïs et d’arbres fruitiers, rappelle certains horizons de notre Limagne. Presque pas de régions vraiment stériles. Lorsque la végétation s’amoindrit, le sol desséché recèle presque toujours des richesses minières. On voit alors affleurer dans les ravins l’ardoise violette ou la serpentine verdâtre ; souvent aussi la couleur rougeâtre du roc, du sable et des eaux trahit la présence du minerai de fer.

On est étonné, lorsqu’on pénètre dans l’intérieur du pays, de rencontrer des petites villes ou plutôt de grands villages assez prospères dans leur quiétude. Ils se composent le plus souvent d’une ou deux rues bordées de maisons basses, avec une double rangée d’acacias en boule qui donnent un peu de fraîcheur. Tout autour, la campagne est en pâturages, pruniers, glandées et maïs. De petits porcs fort agiles, rarement gênés par leur panse, grouillent et grognent au milieu des enfans. Souvent aussi les habitations sont semées sur plusieurs kilomètres de longueur et disparaissent dans la verdure.