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un passage qui n’existait pas, il poursuit sa route. Après avoir perdu deux de ses navires, et réprimé une révolte de ses lieutenans, il voit enfin s’ouvrir devant lui l’étroite passe à laquelle il devait donner son nom. Sans hésiter, il s’engage dans ce détroit sourcilleux de 600 kilomètres de longueur.

Pendant des jours, il en suit les détours sinueux, s’infléchissant en courbe énorme, et voit se dresser devant lui le cône menaçant du cap Forward qui borne l’horizon. Aux eaux calmes et cristallines bordées de glaciers bleus a succédé une grande houle; la marée dépasse 13 mètres, les vagues se brisent sur de hautes falaises noires. Magellan devine qu’il atteint le point de jonction des deux océans, qu’au pied de ce cap de granit le Pacifique refoule les flots de l’Atlantique, que la passe va s’ouvrir. Il commande, persuade, entraîne. Le cap doublé, le détroit se rétrécit encore; sa largeur, qui mesurait jusqu’à 33 kilomètres, n’en a plus que 10, puis 5. Il avance, côtoyant sur le versant nord des forêts de hêtres, de bouleaux, de chênes. Entré dans le détroit le 21 octobre, il double enfin le 28 novembre le cap de la Victoire, et débarque dans le Pacifique, agenouillé sur son pont, rendant grâces à Dieu, qui a couronné ses efforts.

Il a résolu l’insoluble problème, ouvert à l’Espagne l’Océan-Pacifique, donné à sa patrie les riches contrées de l’archipel d’Asie. Vingt-sept ans auparavant, le 3 mars 1A93, le pape Alexandre VI avait tracé sur une carte une ligne allant d’un pôle à l’autre, passant à 100 lieues à l’ouest des Açores et des îles du Cap-Vert, et avait décrété que toutes les îles découvertes ou à découvrir, à l’ouest de cette ligne, appartiendraient à l’Espagne, et toutes celles qui seraient découvertes à l’est reviendraient au Portugal. Magellan avait fait route à l’ouest; il pénétrait dans le Pacifique par l’ouest, et les terres nouvelles qu’il découvrirait, si loin qu’il pût pousser, devenaient de droit possessions espagnoles. C’était la Malaisie, la mer des Indes, l’Océanie entière que lui livrait son audace; c’était aussi la mort qui l’attendait au but poursuivi avec tant d’obstination, et dont il devançait l’heure en forçant de voiles pour franchir le Pacifique et atteindre ces îles fertiles dont le séparaient encore 4,000 lieues de mer. Il avait mis plus d’un an à gagner le détroit. Parti d’Europe le 20 septembre 1519, il s’y engageait le 21 octobre 1520, traversait le Pacifique en cent soixante jours, et abordait le 31 mars 1521 aux îles Philippines, au nord-est de Mindanao, à l’embouchure du rio Agusan, après un voyage de dix-huit mois. Son triomphe était assuré, sa gloire complète. Le 26 avril suivant, au moment où il se préparait à appareiller pour les Moluques, il tombait sous les coups des indigènes de Mactau, près de Cébu, dans une insignifiante. expédition dont il n’avait pas