Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/459

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE DRAMATIQUE

Vaudeville : l’Affaire Clemenceau, pièce en 5 actes et tableaux, tirée par M. Armand d’Artois du roman de M. Alexandre Dumas fils. — Odéon : Beaucoup de bruit pour rien, comédie en 5 actes et 8 tableaux, en vers, par M. Louis Legendre, d’après W. Shakspeare.

Vous vous souvenez de l’Odyssée : quand le glorieux Ulysse, par l’accomplissement des rites, a rassemblé autour de lui « les ombres impuissantes des morts, » celle du devin Tirésias s’approche de la fosse où fume le sang frais des victimes, et elle s’adresse au pèlerin, qui tient au-dessus de la libation son glaive étendu: « Dans quelle pensée, malheureux, as-tu quitté la lumière du soleil pour visiter les morts et leur odieux séjour? Mais recule de la fosse, et retire ton glaive acéré, pour que je boive de ce sang et par le conformément à la vérité. » Le théâtre aussi, bien souvent, est l’odieux séjour des morts: combien de comédies et de drames ne sont peuplés que d’ombres impuissantes ! « Jeunes femmes, jeunes hommes, vieillards, vierges tendres, » ou, comme on dit en ce pays, jeunes premières, jeunes premiers, pères nobles, duègnes et ingénues, se pressent en foule autour de nous, visiteurs habituels, avec une monotone rumeur. Sans doute ils ont vécu, au temps où le génie humain a créé leurs types à l’image de l’homme; mais ils n’ont plus « ni chairs ni os, » et leur âme s’est « envolée, évaporée comme un songe, » car ce ne sont plus que des images d’images. Et, à la vue de ces simulacres inertes, ce n’est point « la pâle crainte » qui nous envahit, nous autres, mais la pâle indifférence 1 Que nous importent le murmure dénué de sens et les gestes vains de ces figures? Elles nous sont aussi étrangères que des fantoches de carton et de bois.

Cependant le devin, ayant bu lui-même, a donné cet avis : « Celui