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pas plus que les autres à ces excitations, et se livra au plaisir avec toute la fougue de son tempérament et de son âge. « Rien ne me plaisait, dit-il, que d’aimer et d’être aimé. » Ces désordres étaient si ordinaires que personne ne parut s’en étonner ; il semble même que son père en ait éprouvé une joie secrète. En vrai païen qu’il était, il ne pensait qu’à surprendre chez son fils les signes de la puberté naissante pour le marier au plus vite, et avoir sans retard des petits-enfans. Les amis de la famille, même ceux qui étaient chrétiens, ne se montraient pas trop scandalisés de ces folies de jeunesse, « Laissez-le faire, disaient-ils : il n’est pas encore baptisé. » Seule, Monique pleurait en silence et redoublait ses exhortations. Mais, se voyant peu écoutée, et n’osant pas demander trop de peur de ne rien obtenir, elle bornait ses prières à recommander à son fils de ne point porter le trouble dans les familles et de ne détourner jamais de son devoir une femme mariée.

C’est pourtant alors qu’au milieu de sa vie dissipée il reçut la première secousse qui commença sa conversion. Elle lui vint d’un auteur profane. La rhétorique était en ce moment son unique étude, et il lui donnait toutes les heures que ne prenaient pas les plaisirs. Il est donc probable qu’il n’était guère occupé que d’ouvrages concernant l’art oratoire, quand un jour, on ne sait comment, il tomba sur un dialogue philosophique de Cicéron, l’Hortensius. « En le lisant, nous dit-il, je me sentis devenir tout autre. Toutes ces vaines espérances que j’avais jusque-là poursuivies s’éloignèrent de mon esprit, et j’éprouvai une passion incroyable de me consacrer à la recherche de la sagesse, et de conquérir par là l’immortalité. Je me levai, Seigneur, pour me diriger vers vous ! »

L’Hortensius est perdu, et il nous est difficile de savoir ce qui put causer une si vive émotion à ce jeune homme de dix-neuf ans ; les quelques fragmens qui nous restent de l’ouvrage, et qui nous ont été presque tous conservés par saint Augustin, nous apprennent qu’il contenait un magnifique éloge de la philosophie. Cicéron, dans son admirable langage, exhortait les Romains à l’étudier, non-seulement en faisant voir tout le bien qu’elle peut faire à la vie présente, mais en leur montrant aussi les grands horizons qu’elle ouvre sur la vie future." Celui qui lui donne tout son temps, disait-il, ne risque pas d’être dupe. Si tout finit avec nous, qu’y a-t-il de plus heureux que de s’être consacré, tant qu’on a vécu, à ces belles élu. Si notre vie se commue de quelque manière après la mort, la recherche assidue de la vérité n’est-elle pas le meilleur moyen de se préparer à cette autre existence, et une âme à qui ces méditations et ces contemplations apprennent à se détacher d’elle-même ne s’envolera-t-elle pas plus vite vers cette demeure céleste,