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pensée d’instituer une enquête parlementaire ? Par des interpellations sous la forme de motions, elle a mis le gouvernement en demeure de vérifier les faits, d’en poursuivre la répression et de proposer les mesures législatives nécessaires pour en prévenir le retour. La chambre des communes a suivi ainsi la seule marche qui soit régulière dans un pays réellement constitutionnel et qui, en même temps, soit conforme à la prudence. Quel peut être, en effet, le résultat de deux instructions parallèles ? Ou les tribunaux puniront les faits qui en auront fait l’objet, et ils seront accusés d’avoir subi une pression politique ; ou ils refuseront d’y voir des délits, et l’autorité morale de la chambre recevra une grave atteinte. Quant au renversement du président Grévy, il se passe de tout commentaire.

On dira peut-être qu’après tout le pays est maître de ses destinées, et qu’il peut acheter au prix de quelques inconvéniens, même graves, l’avantage de connaître à fond ses affaires et de voir clair dans ses finances. Or il ne manque point de gens expérimentés qui contestent que la méthode aujourd’hui en vigueur assure ce dernier avantage au public. Ils font remarquer que toutes les questions se décident au sein de la commission du budget et, d’abord, de ses sous-commissions, et que rien n’arrive à la connaissance du public que par des lambeaux de procès-verbaux communiqués à la presse ou par des indiscrétions individuelles. Quand un ministre s’est mis d’accord avec la sous-commission à laquelle il a affaire, tout est fini ; si l’entente ne s’est pas établie, c’est la commission qui tranche le différend, et tout est encore réglé définitivement, à moins que le ministre ne s’entête et ne porte la question devant la chambre entière, ce qui compromet gravement son portefeuille. Dans la pratique, ce n’est donc pas la publicité, c’est le huis-clos qui est la règle pour la solution des affaires de finance. La chambre accepte aveuglément l’œuvre de sa commission, et s’autorise de l’époque tardive à laquelle le budget arrive devant elle pour étrangler la discussion. Pourvu qu’on lui donne l’assurance que le budget est en équilibre, elle se tient pour satisfaite ; elle refuse de vérifier si cet équilibre est réel ou fictif ; et elle vote, à la vapeur, chapitre après chapitre. Si quelque obstiné veut obtenir une explication ou formuler une critique, c’est à qui, par ses murmures, ferme la bouche à ce bavard, à cet importun. Tout est terminé en quelques séances. En réalité, la nation ne sait rien du fond de sa situation financière ; et la chambre elle-même, qui devrait voir pour elle, ne voit rien qu’à travers la commission du budget, interposée comme un paravent entre la lumière et le public.