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viendra le véritable ministre des finances, et s’il en a la volonté, s’il a aussi l’énergie nécessaire, il dominera le gouvernement tout entier. Par des suppressions de crédits, il mutilera ou même fera disparaître complètement certains services publics. Il en enfantera de nouveau en triplant ou quadruplant le budget d’un ministère. Il se fera une armée de partisans en suscitant par des ouvertures illimitées de crédits, lui qui tient les cordons de la bourse, la conception et l’exécution des plans les plus vastes et les plus dispendieux. Uniquement préoccupé de sa popularité, il supprimera des impôts et désorganisera les finances par des dégrèvemens intempestifs. Il flattera les passions de son parti par l’établissement de taxes iniques, ou en proposant de frapper le revenu et les sources mêmes de la richesse. N’est-ce pas là l’histoire d’hier, qui se continue aujourd’hui et qui recommencera demain ? Où est l’obstacle à ce qu’elle se renouvelle ? Est-il dans la présidence ? Est-il dans le sénat ? Le jour où Gambetta, pour établir la suprématie de la chambre où il était le maître, et détruire les prérogatives du sénat où il appréhendait des résistances, fit supprimer, pour la première fois, des crédits qui n’étaient proposés qu’en exécution d’une loi, et retarda artificieusement le vote du budget, afin d’acculer le sénat dans une impasse, le gouvernement avait le droit et le devoir de lui dire : « Il ne s’agit point de savoir si quelques milliers de francs continueront d’être donnés à certains fonctionnaires. La question est plus haute. Il s’agit de savoir si une loi doit être respectée et obéie, tant qu’elle subsiste. Si une loi vous déplaît, poursuivez-en l’abrogation par les voies régulières ; mais en refusant d’exécuter une loi en vigueur, dont l’autorité subsiste tout entière, vous sapez les bases mêmes de la constitution et de toute constitution. Une telle question est trop grave pour être tranchée par un vote législatif, et si la chambre persiste à vous suivre dans la voie inconstitutionnelle où vous voulez l’engager, nous porterons, par une dissolution, le débat devant le corps électoral. » Seulement, il aurait fallu avoir, à ce moment, un gouvernement digne de ce nom, et il aurait fallu que le président se souvînt qu’il était le gardien de la constitution ; mais, depuis longtemps, l’autorité présidentielle s’était annulée volontairement, et le sénat abdiqua à son exemple. La brèche a été faite dans la constitution : elle est restée et restera ouverte, car il est impossible de revenir sur les faits accomplis. Ne va-t-on pas jusqu’à prétendre maintenant que, le sénat étant issu du suffrage à deux degrés, les députés, directement élus par le suffrage universel, sont les seuls représentans du pays ? Allez dire cela aux députés prussiens, nommés par le suffrage à deux degrés !

Il ne semble point indispensable de toucher à la constitution ; il