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maître. On s’étonnait surtout d’entendre Thémison demander à tout venant un spécimen de « lièvre marin. » On épiait les moindres démarches de l’esclave, on commentait tous ses mots ; on faisait causer les citoyens, les étrangers qui avaient rendu visite à Apulée dans son laboratoire et avaient assisté à ses dissections. De tous ces faits, l’imagination populaire avait conclu qu’Apulée tirait des poissons les élémens de puissantes combinaisons magiques. Ainsi, pour les badauds d’OEa, l’achat des poissons prouvait les sortilèges du philosophe, et sa réputation d’enchanteur démontrait la vertu mystérieuse des poissons.

Une fois l’éveil donné, tout devint pour la foule une occasion de naïf étonnement et de vague inquiétude. En entrant dans le laboratoire d’Apulée, les visiteurs voyaient dans toutes les directions se réfléchir leur image. Des miroirs-plans la reproduisaient fidèlement ; des miroirs convexes et sphériques la rapetissaient; des miroirs concaves l’allongeaient outre mesure. Le bras droit du visiteur s’accrochait à son épaule gauche. L’image se formait tantôt en avant, tantôt en arrière. Parfois, quand un rayon de soleil frappait la surface de certain miroir, on voyait s’enflammer la boule de laine placée au foyer. Apulée vous exposait alors les idées d’Archimède, vous expliquait la théorie de l’arc-en-ciel, et trouvait tout simple qu’à certains jours le soleil se dédoublât dans les nuages. Tous ces instrumens, disait le philosophe, me servent à contrôler les assertions d’Épicure, de Platon, d’Archytas et des stoïciens. Mais les railleurs soutenaient que ces prétendues études d’optique étaient un prétexte imaginé par le philosophe pour contempler à toute heure sa jolie figure. Les gens superstitieux n’écoutaient pas les savantes explications de leur hôte, et, en sortant du laboratoire, ils se sentaient l’âme inquiète. On se racontait des faits nouveaux, qui confirmaient les soupçons. Apulée était arrivé dans la ville avec un seul serviteur; quelque temps après, disait-on, il avait en un jour affranchi trois esclaves : d’où lui venait cette fortune mystérieuse? Puis, le philosophe avait un talisman. Dans la bibliothèque où il travaillait, sur une table, était toujours posé un objet inconnu, dérobé à tous les regards, soigneusement enveloppé d’un mouchoir blanc: nul doute que ce ne fût un instrument de magie, et l’on frissonnait à cette pensée. Voici qui était plus grave encore. Apulée, disait-on, possédait un singulier cachet, destiné à ses pratiques de sorcellerie. Il l’avait fait fabriquer avec beaucoup de mystère, et d’un bois très rare. Il avait, ajoutait-on, une dévotion particulière pour cet horrible objet; il l’invoquait sous le nom grec de basileus (roi) : c’était une affreuse figurine, un squelette.

Du reste, bien des gens affirmaient avoir vu le magicien à l’œuvre.