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faire aussi vite. D’ailleurs, il s’aperçut bientôt que les écoliers, pour être un peu moins remuans que ceux de Carthage, ne valaient pas mieux. Il avait ouvert chez lui une école privée et ne pouvait vivre que des rétributions de ses élèves ; or ils avaient coutume d’être assidus tant qu’on ne leur demandait rien, et de disparaître dès qu’il fallait payer. Aussi fut-il heureux d’apprendre que les magistrats de la ville de Milan, ayant besoin d’un professeur d’éloquence pour leurs écoles publiques, s’étaient adressés à Symmaque, l’un des plus grands orateurs de ce siècle, qui était alors préfet de Rome, pour lui demander d’en choisir un parmi les jeunes maîtres qu’il connaissait. Augustin fut présenté à Symmaque par un manichéen de ses amis : — Les païens et les hérétiques s’entendaient en général fort bien ensemble. — Symmaque, pour avoir une idée de son talent, le fit déclamer devant lui sur un sujet qu’il lui proposa, et l’épreuve lui ayant paru satisfaisante, il le fit partir pour Milan, dans une voiture de la poste impériale, comme un personnage. À Milan, Augustin s’acquitta pendant deux ans des fonctions ordinaires des rhéteurs : il enseignait l’art oratoire aux jeunes gens, et de temps en temps, aux fêtes publiques, il prononçait des panégyriques du prince ou des premiers magistrats de l’empire. « j’y débitais, nous dit-il, beaucoup de mensonges, sûr d’être applaudi par des gens qui savaient très bien la vérité. »

À ce moment, il avait rompu avec les manichéens, et, dans cette rupture, la science profane avait encore joué un rôle. Voici comment il s’était séparé d’eux. Ils avaient un évêque, nommé Faustus, qui jouissait, dans la secte, d’une grande renommée, et passait pour un théologien accompli. Augustin, qui ne le connaissait pas, souhaitait beaucoup le rencontrer pour lui soumettre quelques doutes qui l’empêchaient d’accepter entièrement la doctrine de Manès. Il lui paraissait notamment très difficile de croire à certaines fables cosmologiques, que contenaient les livres des manichéens, sur le ciel, sur les astres, sur le soleil et la lune ; elles étaient en contradiction avec les données de la science grecque, et il semblait à Augustin que c’étaient les Grecs qui avaient raison. Aussi lui tardait-il d’obtenir de Faustus quelque explication qui pût mettre sa conscience à l’aise. Il ne put le joindre que vers la fin de son séjour à Carthage, et cette rencontre lui causa un très grand désenchantement. Aux premières questions qu’il lui posa, l’évêque lui répondit sans détour qu’il était inutile de lui en demander davantage, qu’il ignorait les sciences exactes et qu’il avait accepté les opinions de ses maîtres sans les vérifier. En réalité, ce n’était qu’un rhéteur habile, qui connaissait quelques discours de Cicéron et quelques traités de Sénèque et s’en servait à propos ; son savoir n’allait pas plus loin.