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de son compatriote. Il avait lu et relu ses ouvrages. Il rendait d’ailleurs entièrement justice à son talent. Il admirait même l’opuscule Sur le démon de Socrate, quoiqu’il l’ait réfuté en détail. Dans sa correspondance, il cherche sans cesse à détruire le prestige étrange que le philosophe païen avait conservé sur les imaginations africaines. « Nos adversaires, dit-il, nous jettent à la tête leur Apollonius, leur Apulée et d’autres hommes experts en magie ; on leur prête les plus grands miracles. » L’évêque d’Hippone conteste naturellement beaucoup de ces prétendus exploits : « Sur le compte d’Apulée de Madaura et d’Apollonius de Tyane, on raconte bien des merveilles, que ne confirme aucun témoignage digne de foi. » Au temps d’Augustin, l’on continuait d’opposer Apulée au Christ. On lit dans une autre lettre : « Apollonius, Apulée et d’autres personnages versés dans les arts de la magie, voilà les hommes que l’on compare, même que l’on préfère au Christ! » Mais si l’évêque refusait d’admettre certains miracles d’Apulée, il croyait parfaitement à sa puissance magique. Chose curieuse, il tombe lui-même dans l’erreur populaire ; il identifie partout l’auteur et le héros des Métamorphoses. Il se demande sérieusement si Apulée n’a pas été réellement changé en âne. On lit dans la Cité de Dieu : « Nous aussi, quand nous étions en Italie, nous entendions des récits de ce genre sur certain endroit de la contrée. On racontait que des cabaretières expertes en ces maléfices servaient parfois aux voyageurs, dans le fromage, des ingrédiens qui les changeaient aussitôt en bêtes de somme. On faisait porter des fardeaux à ces malheureux, et, après un pénible service, ils reprenaient leur forme. Dans l’intervalle, leur âme n’était pas devenue celle d’une bête, ils avaient conservé la raison de l’homme. Apulée, dans l’ouvrage qu’il a intitulé : l’Ane d’or, rapporte que cette aventure lui est arrivée; par la vertu de certaine drogue, il fut changé en âne, tout en gardant son esprit d’homme. On ne sait si l’auteur consigne là un fait réel, ou un conte de sa façon. » Saint Augustin parle souvent, et en termes fort honorables, de l’Apologie d’Apulée : « Ce philosophe platonicien, dit-il, nous a laissé un long et éloquent discours par lequel il se défend d’être magicien ; afin de prouver son innocence, il nie les faits imputés ; car il ne pouvait les accepter sans s’avouer coupable. » Par une singulière erreur historique, qui trahit ses préoccupations religieuses, l’évêque d’Hippone croit qu’Apulée fut accusé devant des juges chrétiens : c’est mettre en pleine évidence l’opposition de la magie et de la religion nouvelle, des démons et de Dieu, d’Apulée et du Christ. Saint Augustin aime à se moquer de l’impuissance du philosophe, qui n’a su tirer de ses sortilèges aucun profit sérieux : « Arrêtons-nous de préférence, dit-il, sur