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par les gentils, de la loi nouvelle qui se substitue à l’ancienne, de l’église détrônant la synagogue, c’est-à-dire une sorte de prédiction de la conquête du monde par l’Évangile ? Devant ces grandes perspectives la pauvreté de la légende primitive s’efface, et quand elle est ainsi cachée sous les interprétations qui la recouvrent, on a moins de peine à l’accepter. C’était un service important que ce système rendait aux esprits scrupuleux, indécis, à qui la Bible toute nue aurait causé quelque répugnance. En même temps, quand on était, comme Augustin, un bon élève des rhéteurs, un lettré délicat et subtil, cette façon de retourner un texte en tous sens, d’y trouver sans cesse des significations nouvelles, d’en tirer des allusions, des allégories, des images dont les autres ne s’étaient pas avisés, pouvait sembler un des exercices les plus agréables de l’intelligence. Il en fut, quant à lui, si charmé, qu’en voyant l’usage ingénieux qu’on faisait des livres saints, il se sentit plus de goût pour eux et se remit à les lire. Seulement, il avait trop présumé de lui-même en abordant Isaïe, dont saint Ambroise lui avait conseillé la lecture ; il n’était pas encore de force à en saisir la beauté ; mais les Épîtres de saint Paul lui plurent beaucoup, et, depuis ce moment, il en a fait son livre de prédilection.

Que manquait-il pour que la conversion fût complète ? Le cœur était gagné depuis longtemps ; l’esprit venait de capituler ; seule la chair résistait encore. Une première fois, se croyant assez fort pour en avoir raison, il s’était séparé de la femme qui l’avait suivi d’Afrique, qui partageait sa vie depuis tant d’années, et qui était la mère d’Adeodatus. Mais, après son départ, il avait succombé de plus belle et formé une nouvelle liaison. Ce n’était plus passion, mais habitude, et les habitudes sont de tous les liens les plus difficiles à rompre. Changer brusquement la vie qu’on a menée depuis sa jeunesse, cesser tout d’un coup de faire ce qu’on a toujours fait, renoncer à des occupations qui ont commencé quelquefois par être des gênes et qui finissent par devenir des besoins, il n’y a rien de plus malaisé. Le combat contre ces petites choses tyranniques, contre ces dernières révoltes de la chair, dura plus qu’il n’aurait voulu ; il l’a décrit en termes saisissans dans ses Confessions : « Des sottises de sottises, des vanités de vanités, mes vieilles amies, me retenaient encore. Elles me tiraient par mon manteau de chair, me disant tout bas : Tu vas donc nous quitter ? Encore un moment, et nous ne serons plus avec toi ! Encore un moment, et ceci et cela te seront à jamais interdits ! Et par ces mots ceci et cela, qu’entendaient-elles ? Puisse la miséricorde de Dieu en effacer pour toujours le souvenir ! Quelles misères, quelles hontes elles me mettaient devant les yeux ! Je ne les écoutais plus qu’à demi, et elles n’osaient pas me parler en face. Seulement,