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élevés comme s’ils devaient tous entrer à l’École normale, les jeunes filles sont traitées comme si elles devaient toutes devenir des institutrices. On a pris l’habitude, même dans les familles riches, de diriger leur éducation en vue des brevets qui permettent de suivre la carrière de l’enseignement. On les force à travailler dans ce sens; on fait passer leurs jeunes intelligences par le laminoir des programmes, et leur santé par les excès de travail que cette préparation nécessite. Il semble qu’il n’y ait d’instruction complète que celle qui a reçu sa sanction dans des examens publics. L’amour-propre des familles y a sa bonne part; mais on ajoute que le brevet est une ressource pour le cas où des revers de fortune viendraient à frapper la famille. Cette raison ne me semble pas sérieuse. C’est une éventualité qui se réalise trop rarement pour qu’il y ait lieu de s’en préoccuper; et, dans le cas où une jeune fille appelée à vivre dans l’aisance se verrait réduite à demander un moyen d’existence à son travail, il lui serait facile, avec une instruction solide et bien dirigée, d’acquérir en peu de temps les connaissances supplémentaires exigées pour les examens. Il ne faut pas oublier que l’aptitude au travail, que la facilité pour apprendre, ne sont pas le privilège de l’enfance, qu’elles s’accroissent en avançant dans la vie, et qu’une femme de trente ans, qui n’a pas cessé de cultiver son esprit, apprendra plus en six mois qu’elle ne l’aurait fait en un an, lorsqu’elle était en pension. Enfin, la carrière de l’enseignement est aujourd’hui tellement encombrée qu’elle ne peut plus être une ressource pour les femmes du monde qui voudraient y entrer.

Je reviendrai sur cette question lorsque je parlerai des pensionnats. Je me borne pour le moment à conseiller aux mères qui sont assez heureuses pour pouvoir élever leurs filles elles-mêmes, de leur donner une instruction limitée, mais solide, afin d’en faire des femmes sérieuses, distinguées, d’un esprit sage et cultivé, se contentant de faire l’ornement de leur intérieur, sans se croire forcées d’y apporter un diplôme dont elles n’auront jamais besoin.

C’est pour le même motif que les arts d’agrément leur sont nécessaires. Il en est un qui, pour la plupart des mères, les résume tous, c’est la musique, ou plutôt l’étude du piano. Cet instrument a conquis dans la société moderne une importance que ses adeptes sont seuls à comprendre. Je me garderai bien de reproduire ici les déclamations et les plaisanteries dont il a été l’objet. Pour que cette vogue se soit perpétuée, il faut qu’elle ait sa raison d’être. C’est d’ailleurs une de ces exigences sociales devant lesquelles il faut s’incliner. Dans le monde auquel ces considérations se rapportent, une jeune fille qui n’est pas en étal d’exécuter d’une façon supportable l’œuvre la plus récente du compositeur à la mode, et de