Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/675

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comte de Shaftesbury faisait remarquer, en 1883, à la chambre des lords que, sur 183 personnes appartenant à l’enseignement qui avaient été admises l’année précédente dans les asiles d’Angleterre et du comté de Galles, on comptait 145 femmes pour 38 hommes[1].

Je n’ai parlé jusqu’ici que des conséquences physiques de l’entraînement qui pousse aujourd’hui les jeunes filles vers la carrière de l’instruction publique; mais les résultats sont encore bien plus fâcheux au point de vue moral. Pour courir après ces positions d’institutrices, qui leur échappent neuf fois sur dix, elles délaissent les occupations et les devoirs de la famille ; elles prennent des goûts et des habitudes qui ne sont pas en rapport avec leur situation. Elles deviennent, en un mot, des déclassées, et beaucoup d’entre elles vont recruter le bataillon des irrégulières dont le nom change souvent, mais dont la profession reste toujours la même et dont le nombre va sans cesse croissant.

Le désir de s’élever, par son instruction, dans la hiérarchie sociale, d’arriver par son travail à se faire une position indépendante, est cependant bien légitime. On ne saurait blâmer, chez les filles, l’ambition qu’on approuve chez les garçons. Il est certain que l’un des vices les plus incontestables des sociétés modernes, celui qui porte la plus rude atteinte à leur moralité, c’est l’impossibilité pour la femme d’y vivre à l’aide de son travail. En dehors de la domesticité et de certaines professions trop pénibles pour être accessibles aux organisations délicates et aux intelligences un peu cultivées, il n’y a guère pour elles de moyens honnêtes de pourvoira leurs besoins. Les ouvrages de couture sont trop peu rémunérateurs, et, depuis l’invention des machines, ne peuvent occuper qu’un petit nombre de bras. Les emplois qu’elles remplissaient autrefois dans l’industrie et le commerce ont été presque partout accaparés par les hommes. Elles n’ont qu’incomplètement réussi dans les fonctions que les différentes administrations ont bien voulu leur confier; de telle sorte qu’aujourd’hui les femmes que des malheurs de famille plongent dans la misère, les jeunes filles qui veulent se créer une position indépendante, n’ont plus qu’un objectif; elles aspirent à donner des leçons; mais les maîtresses de français, de piano, de dessin sont aussi nombreuses que les élèves, et, quant à la profession d’institutrice, nous avons vu dans quelle mesure on pouvait y compter.

Il est impossible pourtant qu’on ne trouve pas aux femmes des emplois suffisamment lucratifs dans un pays où, presque partout, l’offre

  1. Communication de M. Lagneau à l’Académie de médecine. (Séance du 14 septembre 1886.