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meneur d’opinion, comme chef de parti, un rôle considérable dans l’assemblée législative. Peu de temps lui suffit pour donner une haute idée de lui, de ses talens d’administrateur, de l’énergie de son caractère, de l’action qu’exerçait dans les grands débats son éloquence batailleuse, trop rigide, un peu sèche, qui, de l’aveu de ses amis, manquait de liant et ressemblait trop à un perpétuel défi. Il excita bien des haines ; mais après avoir épluché ses comptes, ses ennemis durent avouer qu’il était « le plus honnête des coquins, » et son intrépide courage ne fut jamais contesté de personne. Il put jouir de sa gloire. Dans une des retraites qu’il fit à Cauterets, comme, assis sur un banc, il causait paisiblement avec sa femme, un paysan, qui avait l’air fort affairé, l’aborda en lui disant : « Je viens de faire quatre lieues pour voir le fameux ministre de l’intérieur ; on m’a dit qu’il était par ici. Je le cherche, je ne peux le trouver. « Il ne se nomma pas, et le paysan continua de chercher. vanité des gloires humaines, qui se dissipent en fumée ! quel paysan de France connaît encore aujourd’hui le nom de Léon Faucher ? Mais on ne saurait s’occuper de l’histoire de la seconde république sans l’y rencontrer à chaque pas, et ceux qui ont lu ses livres ne les ont point oubliés. On vient de rééditer le recueil de ses lettres, de ses discours, précédé d’une intéressante et pieuse notice biographique écrite quelques années après sa mort. L’homme qui se montre à découvert dans ces deux volumes était assurément quelqu’un[1].

Les premières années de ce Limousin avaient été sévères. Une femme d’esprit, dégoûtée des biens de ce monde, demandait au ciel, comme suprême faveur, « )a paix et un radis. » C’est ainsi qu’elle définissait le bonheur. Léon Faucher, dans son enfance, n’avait pas toujours le radis, et la paix n’habita pas longtemps l’humble maison où il était né le 8 septembre 1803. Ses parens quittèrent Limoges pour Toulouse, et bientôt ils se séparaient. Resté seul avec sa mère, il l’aidait à vivre, s’associait à ses ouvrages d’aiguille, dessinait des festons, des broderies, et, comme le dit la notice, pour pouvoir gagner 3 francs par jour, il se rendait coupable de larcin, dérobait des chandelles à cette mère vigilante, qui les lui cachait afin qu’il ne prît pas sur son sommeil.

À peine fut-il élève de seconde, il donna des répétitions. À dix-neuf ans, il partait pour Paris, sans autre ressource que ses habitudes laborieuses et son indomptable volonté. À vingt-trois ans, il suppléait un professeur de philosophie et s’affublait de lunettes pour inspirer quelque respect. Il concourut pour l’agrégation, il fut classé au premier rang,

  1. Léon Faucher. Biographie et correspondance, vie parlementaire, 2 vol. in-8o, 3e édition. Paris, 1888 ; librairie Auguste Thomas.