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vasistas la gloire d’un tribun dont il avait dit : « Quand on est à peine l’ombre du voluptueux Barras, on a mauvaise grâce à faire appel aux souvenirs les plus austères ou les plus patriotiques de la Convention. » Léon Faucher n’était plus ministre quand il attacha son nom à la fameuse loi du 31 mai 1850, qui exigeait trois ans de domicile pour l’exercice des droits électoraux. Il en fut l’infatigable et intrépide rapporteur. On n’osait pas proposer l’abolition du suffrage universel, on l’escamotait. Pour justifier ce tour de gobelets, le rapporteur multipliait les subtilités. Il déclarait « que la nouvelle loi ne restreignait pas le droit de suffrage, qu’elle en restreignait seulement l’exercice, et que c’était bien différent. « Il ajoutait : « Cette loi dit que, pour être électeur, il faut avoir trois ans de domicile. Est-ce qu’un citoyen quelconque n’a pas ce droit ? Est-ce qu’il n’est pas dans la nature de l’homme d’être domicilié quelque part, d’y planter sa famille et d’y vivre au milieu de ses parens, de ses amis ? » On rayait de la liste des électeurs tous les nomades, en leur disant : Qui vous empêche de vous fixer ? On affectait d’oublier qu’il y a des métiers nécessairement nomades. On aurait pu, en vertu du même raisonnement, rétablir le cens et affirmer qu’on ne louchait pas au suffrage universel. Qui empêche un Français d’avoir des rentes ? La Montagne éclatait en sarcasmes, en invectives, en lazzis, en injures. Mais le rapporteur ne tenait pas les injures pour des raisons, et il fit passer sa loi. Il ne se doutait pas des conséquences fatales qu’elle devait avoir avant peu pour sa fortune politique et qu’elle était grosse d’une perfidie, grosse d’un coup d’état.

Il employa tout le temps de son dernier ministère, qui dura du 10 avril au 26 octobre 1851, à résoudre un problème insoluble. Il y dépensa toutes les ressources de son esprit, il y usa sa tenace volonté. Son plus cher désir était d’établir un accord durable entre le président de la république et la majorité conservatrice et monarchique de l’assemblée législative. Il était trop clairvoyant pour ne pas avoir reconnu que désormais le seul homme populaire de France était le prince Louis-Napoléon, que le paysan était pour lui, et qu’en 1852, malgré l’article 45 de la constitution, les campagnes le rééliraient. Cette réélection illégale lui semblait un grave péril, auquel il fallait parer à tout prix. Il se multipliait pour obtenir que la majorité recherchât les moyens de réviser la constitution, d’abroger le fatal article 45, et prit son parti d’accorder au président un témoignage de sa confiance en lui renouvelant son bail. Malheureusement, cette majorité y était peu disposée. Elle ne voyait dans le prince qu’un occupant provisoire, un régisseur chargé de remettre la maison en état, d’y faire toute sorte de grosses et de menues réparations, d’essuyer les plâtres et de céder