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voulu rentrer en France. J’aurais été fâché de quitter l’Algérie avant l’opération délicate qui devait compléter la conquête des provinces d’Alger et d’Oran. N’ayant plus besoin de son montagnard, depuis la fin de cette campagne, Bugeaud me prodigua les petites perfidies d’un esprit actif et peu scrupuleux servant un caractère ombrageux, jaloux, que des intrigans et des fripons (entendez Saint-Arnaud) étaient intéressés à aigrir contre un homme franc, fier, et aussi sensible aux mauvais procédés qu’aux bons.

« L’occasion de renouveler l’escamotage effronté de l’expédition des sept colonnes ne se présenta plus ; mais, pour affaiblir mon autorité et tâcher d’en rendre l’exercice aussi désagréable à l’armée, aux colons, aux indigènes qu’à moi-même, mes décisions les plus conformes aux lois, aux règlemens, et les plus utiles au bien public, furent infirmées, et des exemples réitérés apprirent à mes subordonnés que la recommandation du lieutenant-général, sans l’assentiment duquel aucune récompense n’aurait dû être donnée, était devenue un titre à la malveillance du gouverneur.

« Après tant d’années, dont beaucoup ont été passées dans d’autres épreuves plus rudes, je puis juger Bugeaud avec calme, et pourtant je pense encore aujourd’hui (en 1855, six ans après la mort du maréchal) que ses procédés à mon égard furent déloyaux et iniques. Pour les sentir moins vivement, je me tins à distance. Chargé par le ministre de l’inspection générale de l’infanterie de la province d’Alger et d’une partie de la province d’Oran, j’eus à visiter les villes, les postes, choisissant le moment où le gouverneur en était éloigné. Notre correspondance était limitée aux questions que je ne pouvais me dispenser de traiter avec lui ; néanmoins, cette correspondance, s’aigrissant de jour en jour de son côté et, je dois le dire, du mien, me devint insupportable. »

La goutte d’eau qui fit, comme on dit vulgairement, déborder le vase, fut la substitution d’un régiment à un autre dans la tournée de l’inspecteur-général, détail futile, mais grossi par Changarnier, qui en prit texte et prétexte pour une vraie querelle d’Allemand. Le 10 août, il écrivit du bivouac de Mocta-Terfani au gouverneur, qui n’avait pas encore reçu le bâton, la lettre suivante :

« Mon général, en me rendant à Douera, où je comptais commencer dès demain l’inspection du 58e de ligne, je reçois la lettre par laquelle vous m’annoncez que vous avez décidé que ce régiment serait inspecté cette année par M. le lieutenant-général de Fezensac à la place du 26e de ligne, que j’inspecterais en échange. Je ne sais ce que M. le maréchal ministre de la guerre pensera de la régularité de cette décision ; mais, prise sans me consulter et sans attendre ma réponse à la lettre que vous m’adressiez peu de jours, je devrais dire peu d’heures avant, pour hâter mon arrivée à Douéra,