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huées et les menaces des tricoteuses, elle lui apportait ses consolations et ses pleurs. Assise sur un escabeau, au pied des juges, comme l’image de la Pitié, elle n’échappa un jour au massacre de la rue que par l’acte sublime d’une femme du peuple qui mérite l’admiration de toutes les mères. Arrêtée quelques semaines après, elle n’eût pas évité le sort qui l’attendait, sans un dévoûment obscur que lui attirèrent l’éclat et la douceur de son regard. Rendue à la liberté et dénuée de ressources, elle parvint par son énergie, et aussi par la sympathie qu’elle sut inspirer à Fouché lui-même, à reconquérir en partie ses biens confisqués, et put reprendre dans la vie sociale le rang qui lui appartenait.

C’était un cœur sincère que Mme de Custine, c’était aussi un caractère. Dans cette société formée sur la frontière de deux mondes si différens, parmi ces nobles femmes qui, après avoir connu les mœurs et les idées du XVIIIe siècle, avaient vu se dresser la guillotine, avaient traversé la pauvreté et l’exil, assisté à la rénovation gouvernementale et religieuse du consulat, subi silencieusement les despotismes de l’empire, les deux invasions, pour mourir sous la royauté légitime, il y avait quelques traits communs à toutes les physionomies morales : l’absence d’hypocrisie, une vaillance d’âme extraordinaire, la plus large part dans la vie au sentiment ; point de perfidie ou d’esprit d’intrigue, et, ce qui est plus rare, l’horreur de tout mensonge et de toute bassesse.

Delphine de Custine était de cette lignée de femmes qui ont joint à la beauté les qualités d’un honnête homme. Saint-Évremond aurait dit d’elle : « qu’elle mêlait même des vertus à tous ses charmes ; et, au moment où un amant lui découvrait sa passion, un ami pouvait lui confier son secret. »

Le grand événement de son cœur à l’âge de son épanouissement fut sa liaison avec Chateaubriand. Commencée en 1803, alors que René était nommé secrétaire d’ambassade à Rome, elle fut bientôt dans toute sa force et toute son ivresse. Les lettres de Chateaubriand, qui nous ont été obligeamment confiées, en font foi ; elles aideront à expliquer encore cette âme orageuse et inquiète. Si vif qu’ait été l’attrait ressenti par lui, le volage ne put longtemps être fixé et retenu. Mme de Custine continua d’être son amie pendant vingt ans, jusqu’à l’heure de sa mort ; jalouse encore après l’abandon et préoccupée de sa renommée, elle laissait échapper devant un confident du passé cet aveu, avant d’aller expirer à Bex : « Voilà le cabinet où je le recevais. — C’est donc ici qu’il a été à vos genoux ? — C’était peut-être moi qui étais aux siens. »

On ne se lasse pas d’étudier ces âmes enthousiastes et dévouées qui font cortège à la gloire des hommes de génie. Elles les protègent devant la postérité, si prompte à découvrir, à côté des qualités