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alors qu’il fut de retour, je n’avais pu m’empêcher de le regarder comme un de ses coryphées. »

Les jacobins ne pardonnaient pas une telle imprudence de langage. Le 27 août, à neuf heures du soir, le tribunal révolutionnaire déclara Custine coupable de manœuvres et d’intelligences criminelles avec les ennemis de la république, le condamna à la peine de mort et à la confiscation de tous ses biens[1]. C’était Coffinhal qui présidait.

D’après les termes mêmes du Bulletin criminel, Custine rentra d’un pas grave pour entendre lire sa sentence ; le silence qui régnait dans l’auditoire, les bougies qu’il n’avait pas encore vues allumées depuis le commencement des débats, tout cela parut faire une vive impression sur lui. S’étant assis, il promena ses regards sur la foule. Coffinhal lui fit part de la déclaration des jurés, et après que Fouquier-Tinville eut donné lecture de la loi et conclu à son application, l’accusé, n’apercevant plus Tronçon-Ducoudray, son avocat, et son autre conseil, Me N…, se retourna vers le tribunal et dit : « Je n’ai plus de défenseurs, ils se sont évanouis. Ma conscience ne me reproche rien. Je meurs calme et innocent. »

La veille de l’exécution, il écrivit à son fils cette lettre mémorable et touchant :

« Adieu, mon fils, adieu ; conservez souvenir d’un père qui voit arriver la mort avec tranquillité. Je n’emporte qu’un regret, celui de vous laisser un nom qu’un jugement fera croire un instant coupable de trahison par quelques hommes crédules. Réhabiliter ma mémoire quand vous le pourrez. Si vous obteniez ma correspondance, ce serait chose bien facile. Vivez pour votre aimable femme, pour votre sœur, que j’embrasse. Aimez-vous. Aimez-moi. Je crois que je verrai arriver avec calme ma dernière heure. Au reste, il faut y être arrivé… « Adieu encore, adieu.

« Votre père, votre ami,

« C. »


28 août 1793, dix heures du soir.

Sa belle-fille obtint de le revoir une dernière fois. Custine avait changé de cachot. On l’avait installé dans une chambre convenable. « On m’a délogé cette nuit, dit-il à Delphine, pour me faire céder la place à la reine, parce que mon premier logement était le plus mauvais de la prison[2]. »

Le Moniteur du 4 septembre 1793 relate en ces termes les derniers

  1. Bulletin du tribunal révolutionnaire, no 95.
  2. La Russie en 1839, lettre II.