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Il avait même ajouté qu’il pourrait bien arriver que la lutte n’eût plus pour base le droit européen, mais l’intérêt égoïste des puissances.

Ces avertissemens, indirectement données à l’Allemagne, avaient vivement frappé le ministre bavarois. Il en était encore impressionné quelques semaines plus tard, lorsque, après son retour de Paris, il vint voir M. d« Moustier à Berlin. C’était le seul point noir, qui était resté dans son esprit de l’entretien qu’il avait eu aux Tuileries. Sur tout le reste, l’empereur s’était expliqué sans passion, sans amertume, avec une admirable sérénité. Il s’était déclaré prêt à conclure la paix immédiatement, quelles que fussent les intentions de l’Angleterre : il n’attendait qu’une démarche de la Russie, directe ou indirecte, peu lui importait, pourvu qu’elle ne se présentât pas sous la forme d’une médiation. Le lieu des négociations lui étaient indifférent; l’Angleterre refusant Vienne, il croyait que Paris serait le centre qui conviendrait le mieux , mais il était prêt à accepter toute autre ville, fût-ce une ville allemande. Il n’exigeait de la Russie ni cession de territoire, ni humiliation d’aucun genre. Il maintenait les quatre points de garantie sanctionnés par la conférence de Vienne, et il était disposé à substituer au principe de la limitation celui de la neutralisation, ce qui mettrait la Russie, dans la Mer-Noire, sur un pied de parfaite égalité avec toutes les puissances.

M. de Pforden avait trouvé ces conditions si modérées, si équitables, qu’il s’était empressé de les signaler et de les recommander chaleureusement à M. de Nesselrode. Peut-être cet empressement n’était-il pas exempt d’arrière-pensées ambitieuses. Le rôle d’intermédiaire le tentait : qui sait s’il ne rêvait pas celui de médiateur? Il fut réveillé désagréablement par des circulaires du cabinet de Vienne et du cabinet de Berlin qui l’invitaient collectivement à participer, comme un simple confédéré, à une démarche pacifique de la Confédération germanique auprès de la cour de Pétersbourg. Il répondit avec humeur, fort de l’accueil qu’il avait trouvé aux Tuileries, que déjà il avait écrit au chancelier russe. M. de Beust fut, plus heureux : il n’essaya pas d’intervenir au lendemain de la chute de Sébastopol, il attendit son heure. Il s’était rendu à Paris au mois d’octobre, et, dès que les chances de la paix s’accentuèrent, son envoyé, M. de Seebach, le gendre de M. de Nesselrode, partit à toute vapeur pour Pétersbourg, une branche d’olivier à la main. Il y arriva à point Nommé ; il fut éloquent et persuasif. S’il avait dépendu de lui, l’alliance eût été à jamais indissolublement scellée. M. de Beust était de ceux qui s’affirment à propos; ses admirateurs l’appelaient un « géant dans un entre-sol, » ses détracteurs, en Allemagne, l’appelaient un « touche-à-tout. « Il vint à Berlin