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Au lendemain du premier attentat commis sur sa personne, l’empereur Guillaume recommanda avant tout à ses conseillers de conserver la religion au peuple. Le souverain exprimait ainsi un avis auquel ses ministres ont eu le mérite de se rendre, sans s’obstiner à maintenir en vigueur les lois restrictives de la liberté ecclésiastique. En prenant la parole, au nom du centre catholique, au Reichstag, contre les mesures d’exception, le docteur Joerg s’éleva contre l’emploi des moyens violens pour éteindre le socialisme. Cet homme d’état, doué d’une rare perspicacité, compara les propositions du gouvernement allemand à la loi de sûreté générale, édictée en France sous le second empire, afin de sauver la société et la dynastie. Tout le monde sait que les mesures de police autorisées par la loi en question n’ont pu empêcher la chute de l’empire napoléonien ni les incendies de la commune de Paris. « Si vous voyez dans la démocratie socialiste, dit M. Joerg, une éruption maligne sur le corps social, vous ne ferez qu’aggraver le mal par l’application de remèdes violens. Vous dériverez l’éruption sur les organes internes: au lieu de l’agitation visible au grand jour, vous provoquez le travail souterrain, la conspiration dans l’ombre. La question de l’estomac et le mouvement communiste, qui en est né, se traduisent dans le matérialisme de la vie. Ces miasmes délétères, la police n’est pas en état de les extirper et de les détruire. D’ailleurs les organes socialistes ne sont pas seuls à répandre le matérialisme dans le peuple. »

Revenant sur leur décision antérieure, les députés socialistes prirent une part plus active aux débats sur la loi d’exception lorsque le projet du gouvernement fut de nouveau présenté à l’acceptation du parlement. Ils ont mis à profit la discussion des projets de répression pour exposer leur programme d’action et expliquer leur manière de voir sur le socialisme. Le socialisme, ont-ils répété, est le cri d’angoisse des misérables privés de pain, qui ne peuvent trouver un travail rémunérateur. Le mouvement socialiste, c’est l’émancipation du prolétariat, qui aspire à se dégager de la condition désespérée où le retient et le plonge l’exploitation sans merci, le mode de production sans règle de la société actuelle. Tandis que M. Bebel s’est efforcé d’écarter le reproche de viser au bouleversement violent de l’ordre établi, son collègue, M. Hasselmann, oubliant toute mesure dans l’entraînement de la passion, a frisé de près l’appel à la révolte. Jamais le Reichstag, si calme d’ordinaire, en comparaison des assemblées françaises actuelles, n’a eu de séance plus agitée, au point qu’à deux reprises, coup sur coup, le président dut rappeler à l’ordre le député socialiste. Celui-ci, pourtant, de répondre que la provocation à la guerre civile venait des hommes