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Mais avant de montrer le président de Brosses aux prises avec le plus formidable adversaire qu’il pût rencontrer de son temps, il faut raviver de quelques couleurs son portrait, qui s’efface, tandis que la physionomie de Voltaire demeure bien vivante dans toutes les mémoires.

Charles de Brosses naquit à Dijon, le 7 février 1709, de Charles, déjà conseiller au parlement, fils lui-même d’un conseiller, et de Pierrette Févret, fille du célèbre jurisconsulte. Sa famille était donc de robe, mais autrefois elle avait été d’épée. Un De Brosses fut blessé mortellement à Fornoue ; un autre servit avec éclat sous Charles VIII, Louis XII et François Ier.

Le père de Charles, qui avait un goût très vif pour les lettres et pour les études sérieuses, surtout pour l’histoire et pour la géographie, sut, par une forte éducation, le développer chez son fils. Il surveillait lui-même avec le plus grand soin l’instruction de l’enfant, et l’on raconte que chaque jour, parfois pendant près de deux heures, il s’asseyait en face de lui, et, tenant ses deux mains dans les siennes, lui faisait répéter les choses qu’il avait précédemment apprises. — La mort ravit à De Brosses cet excellent précepteur alors qu’il avait à peine quatorze ans, mais sa mère, femme d’une haute valeur et d’un grand savoir, continua l’œuvre commencée et dirigea les études de son fils avec un soin que couronna le plus éclatant succès. Le terrain était fertile et ne demandait qu’à être cultivé : les fruits qu’il produisit furent merveilleux. Encore sur les bancs de l’école, de Brosses avait déjà une véritable réputation. La ville se passionnait pour lui, et lorsqu’il passa son dernier examen de droit, il fallut, dit un de ses biographes, qu’on le fît monter sur un petit escabeau, parce que la foule voulait le voir et que l’exiguïté de sa taille le laissait dissimulé derrière le pupitre des récipiendaires ! — Cet examen fut un triomphe. La faculté en corps alla féliciter la mère de Charles, reconnaissant ainsi toute la part qu’elle avait dans ce succès, que la direction donnée par elle à la forte éducation de son fils avait depuis longtemps préparé.

Peu après, le 13 février 1730, Charles de Brosses prit à vingt et un ans, avec une dispense d’âge, place au banc des conseillers du parlement. — « À peine installé, il étonna ses collègues par sa connaissance profonde des lois… Il fut bientôt connu par sa compétence dans une des matières les plus ardues de la jurisprudence, et cité comme le plus habile commissaire à terrier qui fût dans toute la Bourgogne[1]. » — À quelques années de là, Lamoignon de Malesherbes, conseiller au parlement de Paris, ayant été envoyé pour

  1. Mamet, le Président de Brosses.