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l’Autriche et la Prusse, des moyens et non un but, des zéros à ajouter à leurs unités[1]. »

L’Allemagne, sous des influences rivales, laissait encore une fois échapper l’occasion qui s’offrait à elle de faciliter et de hâter, par son intervention, la conclusion de la paix.


III. — L’INTERVENTION DE LA PRUSSE A PERTERSBOURG.

L’Autriche perdit patience ; ulcérée par l’action paralysante que, de propos délibéré, la Prusse exerçait sur ses confédérés allemands, elle ne lui ménagea plus l’expression de son mécontentement. Le comte de Buol adressa au comte Esterhazy des notes empreintes d’aigreur, avec l’ordre d’en laisser copie au baron de Manteuffel. Il appelait l’attention du cabinet de Berlin sur son isolement en Europe; il lui donnait à entendre que la France et l’Angleterre procéderaient à des mesures rigoureuses dans la Baltique, et que, si le gouvernement du roi ne s’appropriait pas les propositions envoyées à Pétersbourg sous forme d’ultimatum, il serait exclu de la paix.

M. de Manteuffel était un phlegmatique, il ne se laissa pas émouvoir. Il ne se souciait pas de servir d’instrument à la politique autrichienne et de tirer à son profit les marrons du feu. Il entendait agir seul, pour son compte, et réserver à sa cour les bénéfices du crédit dont elle disposait toujours à Pétersbourg. « Sans cesse on nous menace de l’isolement, disait avec humeur M. Balan, le directeur politique, et cependant, dès que surgit un événement important, on s’adresse à la Prusse, on réclame sa coopération, on lui présente des notes ou des traités à signer : on ferait mieux de nous laisser tranquilles. » Cette boutade s’inspirait des sophismes qu’un professeur de talent, converti à l’orthodoxie féodale et piétiste, le docteur Stahl, développait devant la chambre des seigneurs : « On prétend, disait-il, que la Prusse ne joue pas le rôle d’une grande puissance ; mais si toute l’Europe veut faire la guerre à la Russie et que la Prusse l’en empêche, sera-ce l’œuvre d’une petite puissance ? La Prusse a beau ne pas être représentée à la conférence de Vienne, la paix ne sera pas moins son œuvre. »

Ce n’était l’avis ni du roi, qui ne se consolait pas d’être exclu

  1. Le comte de Hoenthal, était de tous les ministres allemands accrédités à Berlin le plus spirituel et le mieux disposé pour la France ; c’est à Paris qu’il avait débuté dans la carrière diplomatique. Il tenait grande maison; il avait épousé la comtesse de Bergen, la veuve morganatique du vieil électeur de Hesse, que la révolution de 1830 avait chassé de ses états. Il possédait de grands domaines en Bohème et en Saxe; j’ai vu dans sa terre de Knauthain, traversée par l’Elster, l’endroit où le prince Poniatowski s’est noyé après la bataille de Leipzig.