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qu’elle est contagieuse, elle n’en semble pas moins dangereuse. Si l’on se flattait de s’en isoler entièrement, c’est un mal qu’avec M. de Bismarck l’on verrait sans peine à ses ennemis, personne n’aurait l’idée de le souhaiter à ses amis.

Le radicalisme, il est vrai, n’est pas encore le maître incontesté de la France. Ce n’est que le dauphin de la république. Il n’est pas défendu d’espérer que, au lieu de s’abandonner à lui, le pays, par un mouvement brusque, se dérobe à son joug. La situation actuelle, avec ses compromissions et ses contradictions, peut se prolonger quelques années, et, dans notre Europe en armes, c’est beaucoup de gagner deux ou trois ans. Le malheur est que, pour énerver le pays, le radicalisme n’a pas besoin de régner en souverain absolu. Grâce à la complicité de faux modérés, la politique de glissade, en honneur depuis dix ans, a déjà permis bien des destructions ou des mutilations. Les ressources d’un état, au point de vue de sa puissance, consistent en deux choses surtout, les finances et l’armée. C’est grâce à une ancienne supériorité à ce double égard que la France a joué un tel rôle dans le monde. Or l’armée et les finances, voilà précisément ce qui est le plus menacé ou le plus entamé par le radicalisme.

Pour les finances, le mal est déjà grand. Les ressources de la France étaient considérables. On le savait partout ; cela seul lui valait dans le monde la considération qui s’attache à la richesse. L’aisance avec laquelle M. Thiers a payé à M. de Bismarck ses 5 milliards a émerveillé l’Europe, mais elle a ébloui la république. Ce pays si riche, ses gouvernans semblent avoir pris à tâche de le ruiner. A l’étranger, où l’intérêt électoral ne trouble pas l’arithmétique, chacun sait ce que leurs représentans s’efforcent encore de dissimuler aux Français : la France, depuis une dizaine d’années, s’est habituée à dépenser, en outre de ses ressources ordinaires, au moins 500 millions par an, de façon que, en pleine paix, l’administration des vrais républicains lui a coûté aussi cher que l’indemnité prussienne. La présidence de l’économe M. Grévy a été une ère d’imprévoyantes prodigalités. On a gouverné comme si la France était une île au milieu de l’océan, sans voisins à surveiller, sans guerres à redouter. Tandis que Berlin avait soin de grossir son trésor de guerre, la république engageait de toute façon l’avenir, accumulant les emprunts publics et déguisés, s’appropriant les fonds des caisses d’épargne, recourant à tous les expédiens des fils de famille en détresse. il lui faut aujourd’hui créer des taxes nouvelles, et déjà la France a le plus lourd budget du globe.

C’est là pour elle, dans les compétitions de la paix ou de la guerre, une évidente faiblesse. On songe à ces courses où les