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du corps diplomatique. Elle me parla de l’empereur avec tact, de la perle qui empêchait le marquis de Moustier de lui apporter ses félicitations avec émotion. La princesse était la grâce personnifiée, comme son frère était l’image de la force et de la beauté viriles. Les fiançailles du prince royal suivirent de près celles de sa sœur; il épousait, au désenchantement de M. de Gerlach et de son parti, une princesse du plus haut mérite, la fille de la reine Victoria, dont il était épris. Puisse-t-il recouvrer la santé et régner en paix! c’est le vœu de l’Europe, au seuil de l’année nouvelle.


IV. — LA PRUSSE A LA VEILLE DU CONGRÈS.

Le congrès allait s’ouvrir à Paris, et la Prusse en était encore à se demander si elle y serait représentée. Elle invoquait son titre de grande puissance, mais on ne traite de la paix que lorsqu’on a fait la guerre, ou tout au moins accepté l’éventualité d’y participer. Il n’y a pas de droits sans devoirs corrélatifs.

« A quel titre, disait le Times, la Prusse siégerait-elle dans les conférences? Ce n’est ni comme notre alliée, ni comme celle de la Russie, car elle désavoue ces deux caractères. Ce n’est pas non plus comme grande puissance, car elle a absolument abdiqué les honneurs et les devoirs attachés à ce haut rang. Elle s’est médiatisée, et dans les conférences il n’y a pas de places pour les subterfuges. »

Le prince Albert, dans ses correspondances, n’admettait pas qu’un gouvernement pût intervenir dans les délibérations des grandes puissances sans risquer d’enjeu, se réserver les bénéfices et laisser aux autres les sacrifices ; et la reine écrivait à lord Clarendon[1] a qu’admettre la Prusse au congrès serait abaisser l’Angleterre et prouver qu’elle envisage avec indifférence l’immoralité politique. »

L’Angleterre est souvent déplaisante dans ses relations internationales, mais jamais elle ne s’était révélée plus hargneuse qu’avec la Prusse pendant la guerre d’Orient.

Le roi affectait l’indifférence, mais au fond il éprouvait un vif dépit de n’être pas convoqué. Il voyait les jours s’écouler sans lui apporter l’invitation qu’il n’avait jamais cessé d’espérer. Le ministre n’était pas moins impatient. Il s’était flatté que sa démarche à Pétersbourg serait un titre suffisant pour son admission. L’Angleterre et l’Autriche ne l’entendaient pas ainsi ; leurs ressentimens n’étaient pas tombés : elles ne pardonnaient pas à la Prusse les déceptions que leur valait le dénoûment de la guerre; l’une aurait voulu porter à la Russie des coups mortels, la seconde avait rêvé

  1. Lettre de la reine, 25 mars 1856.