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par des sollicitations de tout genre, venant de personnes plus ou moins haut placées... C’est un désordre contre lequel, ajoutait-il, on n’a pas suffisamment essayé de réagir; et ce mal est d’autant plus répandu en France que le nombre des emplois publics est plus grand. » En fait, des milliers de fonctionnaires ont été renvoyés sans qu’on puisse alléguer contre eux aucun grief professionnel, mais simplement parce que leur place avait été prise en goût, ou leur personne en aversion, par tel individu bien en cour.

La cour du peuple est une cour plus vaste que celle d’aucun monarque. La cour du Palais-Bourbon, celle du Luxembourg, ont leurs favoris, leurs flatteurs, leurs maîtresses, leurs folies, leurs ignorances, partant leurs abus, autant, ne pourrait-on dire plus? que la cour d’un seul homme. Cependant, en un pays où le gouvernement change tous les quinze ou vingt ans, il serait bien à désirer que les serviteurs publics demeurent. La forme républicaine n’a donc pas tenu ici tout ce qu’elle promettait. Elle l’a tenu moins encore dans la réalisation de ce programme de « gouvernement à bon marché, » que les réformateurs de 1869 faisaient miroiter aux yeux de la génération nouvelle, et que la démocratie devait nous donner un jour. Dans un pays déjà plus gouverné et plus administré qu’aucun autre en Europe, non-seulement on n’a supprimé aucun emploi, mais on en a accru singulièrement le nombre, et on a augmenté les émolumens des anciens et des nouveaux. Cependant la France de 1888 est la même que celle de 1869, elle n’a pas un habitant de plus, elle a trois départemens de moins ; et la vie est moins chère qu’il y a douze ans, puisque le prix de tous les objets de première nécessité a, comme le prouvent les statistiques, subi une baisse sensible.

A qui fera-t-on croire que les besoins de services restés les mêmes de 1875 à 1888 aient forcé les différens ministres de porter de 22 à 31 millions les dépenses de leurs bureaux? D’une date à l’autre, il a été créé, dans les administrations centrales, 11 directions nouvelles, 19 postes de sous-directeurs, 51 places de chefs de bureaux, 74 de sous-chefs ; on est arrivé à une proportion invraisemblable entre ceux qui dirigent ou surveillent le travail et ceux qui l’exécutent. Ainsi, aux Beaux-Arts,.30 chefs pour 70 employés; aux cultes 20 chefs pour 31 employés ; aux contributions indirectes, 11 pour 19 ; 36 pour 42 à l’enregistrement ; 11 pour 22 aux manufactures. Et si l’on descendait dans le détail de la composition des bureaux, on en trouverait où le nombre des chefs égale celui des employés. Pour rétablir la proportion, cet état-major ne demande qu’à se faire entourer de soldats, et pour justifier la présence des généraux, on augmente l’effectif des subalternes. Le